Quelques remarques sur le jeu excessif et les addictions sans drogues

par Docteur Marc Valleur, médecin chef du Centre médical Marmottan.

La venue au centre Marmottan de M. le ministre du Budget est un signal fort, dont les soignants ne peuvent que se réjouir, puisqu’elle démontre une volonté politique de prise en compte de la dimension potentiellement addictive des jeux d’argent et de hasard. C’est un signal d’autant plus fort qu’il eût été difficile de l’imaginer il y a seulement quelques années, lorsque l’idée de regrouper le jeu pathologique parmi les addictions, au côté de l’alcoolisme, du tabagisme, des toxicomanies, avait du mal – mais c’est toujours un peu le cas lorsqu’il s’agit de jeu – à être prise au sérieux.

Il est de fait temps que la France prenne la mesure du problème et que se construise une véritable politique des jeux, qui tienne compte du phénomène de société que constitue l’extension de l’offre de jeux, des changements apportés par les nouvelles technologies de l’information et de la communication, mais aussi de la dimension sanitaire induite par cette évolution.

Les quelques trop rares équipes qui ont commencé à recevoir des joueurs compulsifs, « pathologiques », excessifs, savent la quantité de souffrance que représente cette addiction, pour les joueurs concernés, mais aussi pour leur entourage.

C’est pourquoi, malgré toutes les discussions et querelles d’experts quant au statut des « addictions sans drogues », quant à leur homologie totale avec les toxicomanies ou l’alcoolisme, personne ne songe à nier cette dimension de souffrance, ni la nécessité d’y apporter des réponses, qui doivent comporter un volet sanitaire.

L’expertise collective de l’INSERM aura été la première manifestation d’une volonté de prendre en compte les souffrances liées au jeu excessif, et elle doit être suivie de la première enquête épidémiologique sur le sujet, menée par l’OFDT en collaboration avec l’INPES.

Reste à construire un réseau qui apportera des réponses concrètes en termes de prévention, d’information, et de soins.

La promotion de la notion de « jeu responsable » a été décidée, elle aussi, assez récemment, puisqu’on peut la dater de la création du COJER en 2006.

Cette notion implique une inflexion importante des discours, et de la politique en matière de jeu, jusque là fondée sur une forte canalisation de l’offre, liée à une prohibition millénaire, d’origine religieuse, puis morale.

Ce cadre prohibitionniste n’était pas une absence de politique : les contraintes d’une prohibition, ou d’un certain degré de prohibition, sont dans certains cas le prix qu’une majorité accepte de payer, par solidarité avec les personnes les plus à risque, qui seraient les victimes d’une libéralisation brutale.

Mais remettre en cause ce cadre est cependant justifié par la nécessité de canaliser une offre déjà plus que présente sur Internet. Surtout, l’augmentation très importante de l’offre, évidente depuis 1990, l’évolution qualitative de cette offre, avec la part croissante des « jeux de sensation » par rapport aux « jeux de rêve », finirait par rendre peu crédible un régulateur trop étroitement lié aux opérateurs.

Le projet de loi porte sur un aspect très partiel de l’offre ludique, les paris hippiques et sportifs, ainsi que le poker sur Internet, mais il représente un changement considérable : il s’agit bien aujourd’hui de construire une véritable politique du jeu, dont la prise en compte de la dimension addictive doit être un élément.

Le jeu responsable ne peut simplement signifier que chaque individu sera responsable de sa conduite, face à une offre totalement libre : la responsabilité doit être entendue comme partagée entre les joueurs, les opérateurs, et le régulateur.

On ne peut que souhaiter que les débats soient à la hauteur de l’enjeu : à travers les modes de régulation du jeu, c’est tout un style de société qui se reflètera.

Ces débats sont en quelque sorte une chance unique, qui ne se représentera pas de sitôt, de poser des questions fondamentales en matière d’addictions, avec ou sans drogues.

Une politique de jeu responsable implique une prise en compte de la « pyramide du risque », où l’on voit qu’une partie – la plus importante – de la population joue sans excès et sans dommages. Où la partie « malade », les joueurs pathologiques qui relèvent de soin, ne constituent qu’une petite minorité de l’ensemble des joueurs, sans doute de l’ordre d’un peu moins de 1% de l’ensemble de la population.

Mais il ne faut pas oublier qu’entre ces deux pôles existent tous les problèmes d’abus, de dérapages plus ou moins ponctuels, de pertes de contrôle passagères, qui s’avèrent lourdes de conséquences pour les individus comme pour la société.

La population dans son ensemble doit bénéficier d’une information claire et objective sur le jeu et ses conséquences. Certaines populations vulnérables (les jeunes, les personnes âgées, les pauvres, etc.) doivent bénéficier de mesures d’information et de prévention adaptées. Les joueurs qui manifestent des tendances à l’excès doivent pouvoir être avertis, alertés, avant de se mettre dans des situations irréparables. Les mesures consacrées au crédit sont par exemple ici tout à fait importantes. Et, bien sûr, les joueurs « addicts » ou dépendants doivent pouvoir être reçus dans des centres par des équipes compétentes et formées, et ce devrait être logiquement inscrit dans la mission des futurs CSAPA, qui devraient bénéficier, pour cela, des moyens nécessaires : s’il est bien de doter la prévention par un prélèvement sur les revenus des jeux, il est aussi indispensable que le dispositif de soin en bénéficie.

Mais un tel schéma ne doit pas être conçu comme une simple réponse technique à un problème de santé publique. Les addictions ne sont pas des maladies comme les autres, et, toutes, relèvent d’une dimension politique au sens le plus noble du terme.

C’est pourquoi des tâches importantes attendent la future autorité de régulation des jeux en ligne, mais aussi le futur conseil consultatif des jeux. On peut souhaiter que celui-ci regroupe des représentants des différentes parties prenantes, y compris des défenseurs de la liberté de jouer, et des adversaires des jeux d’argent, qui ont, tous, des arguments à faire valoir. A l’appui de recherches sur le jeu pathologique, mais aussi sur les évolutions du jeu « normal », il pourrait alors devenir l’initiateur d’une politique innovante dans le domaine des addictions.

Claude Olievenstein : « Olive, l’Accueillant »

Par Dr. Zorka Domic

Il n y a pas de drogués heureux figurait parmi les ouvrages qui accompagnaient mes réflexions à la prison de La Paz, dans ma lointaine Bolivie, où je m’occupais alors (1978-1980) des cocaïnomanes incarcérés :

« Lorsqu’on se penche sur le problème de la drogue il faut chasser le policier qu’on a dans la tête, cesser de tenir pour des vicieux ou des misérables ceux qui ont choisi un chemin différent, en finir avec la recherche du bouc émissaire, avec ces réactions de rejet dont on sait qu’elles mènent tout droit aux camps de concentration. Dans une société qui, de l’ivrognerie, retire parfois une fierté nationale, est-ce là beaucoup exiger ? »

J’étais retournée en Bolivie à la fin de la dictature du général Banzer (1971-1978), rapportant dans mes valises un long périple « d’études et de pratiques médicopsychosociales européennes » qui avait commencé à Moscou.

En 1978, je rendis une courte visite au Pr. Olievenstein à Marmottan, afin de lui parler de mon travail avec les drogués dans ce pays où les questions de la « drogadiccion » était abordées sous le seul angle de l’interdiction et de la répression.

J’avais trouvé ma place à la prison El Panoptico à La Paz, et j’étais très impliquée dans un travail institutionnel passionnant. L’organisation de la vie quotidienne des prisonniers, basée sur la solidarité et la responsabilité collective autogestionnaire (présentes dans les traditions culturelles indiennes), me permettait d’y introduire des éléments de mon expérience de la psychothérapie institutionnelle.

Le Dr. Olievenstein m’avait écoutée, exprimant ses remarques avec la finesse et la pertinence qui faisaient toujours de sa parole une transmission inimitable de son savoir, de son expérience.

Je formulai alors une invitation car mon rêve était de le recevoir un petit moment avec les étudiants, les marginaux, les parents et les enseignants, les autorités et les bureaucrates. Je savais combien ses paroles, sa présence et son écoute pouvaient créer une petite mais importante révolution dans la société bolivienne qui vivait ces jours-là un délicieux printemps démocratique. Je repartis avec le sentiment qu’une conspiration était en marche, et avec la version espagnole de Il n’y pas de drogués heureux sous le bras, cadeau d’Olive.

Je m’imaginais déjà l’entendre prononcer les paroles justes avec son style direct, à la fois provocateur et tolérant :

« Je souhaiterais qu’un jour, dans leur église, dans leur travail, dans leur retraite, les gens s’arrêtent, ne serait-ce que quelques heures, qu’ils se demandent – et pas seulement les parents – si, entre eux et autour d’eux, ils savent faire régner assez de chaleur, de présence, d’authenticité, qu’ils méditent également sur le monde qu’ils proposent à ceux qui nous suivent. Puisque après tout, ces voyous sont nos enfants. Quel autre crime, du reste, ces enfants ont-ils commis sinon celui de refuser le mode d’organisation où on veut les faire vivre, et de vouloir tout de suite et maintenant, ce plaisir qui a totalement déserté leurs perspectives d’existence ? De quel droit les juger, de quel droit aussi prétendre ne voir en eux que des malades ? Et s’il faut des responsables, pourquoi ne pas commencer par nous interroger nous-mêmes ? »

En 1981 commença mon exil à Paris – j’avais été expulsée après le sanglant putsch militaire dit « de la cocaïne ».

Je retournai voir le Dr. Olievenstein, cette fois pour lui demander de me permettre de participer à la vie institutionnelle de Marmottan. Un stage, en somme, en attendant mon retour en Amérique du Sud.

Le destin m’a finalement donné la chance de partager avec lui 20 ans d’une expérience passionnante, riche et unique. La qualité d’écoute et les mots justes d’Olive demeurent dans la mémoire de tous ceux qui le consultèrent un jour ou l’autre pour trouver le moyen de sortir d’une impasse. Brillant clinicien et chercheur, mais aussi, et surtout, grand humaniste. Féroce humaniste, qui n’hésitait pas à se servir de ses armes – tendresse et humour – pour mieux dévoiler, sans jamais de complaisance, faiblesses, difficultés et non-dits. Engagement total du clinicien, du citoyen pour se battre et rappeler que le sujet ne peut pas être réduit à la catégorie (aliénante) de victime ou de malade.

Il avait fondé l’hôpital Marmottan (Centre Expérimental d’Accueil, d’orientation et de soins pour toxicomanes) en 1971, soit dans une période où proposer une approche basée sur le volontariat, l’anonymat et la gratuité des soins suscitait au mieux du scepticisme, au pire la conviction que l’expérience était vouée à l’échec :

« En premier lieu proposer une pause quelque part dans la trajectoire : il est important d’avoir un répit, un lieu. Ensuite, préparer en profondeur ceux qui veulent tenter la difficile marche au terme de laquelle, peut-être quelque chose sera acquis. Et tout d’abord, les avertir :

“pour vous en sortir, c’est l’enfer, sachez-le, ce sera horriblement long et douloureux ; alors réfléchissez, nous sommes prêts à vous aider mais nous ne possédons pas de solutions miraculeuses ; vous allez en baver pendant plusieurs années, il faut accepter ; sinon défoncez vous, nous ne sommes pas là pour vous l’interdire.”

Telle est la première partie de notre travail. L’autre, non moins considérable, consiste à prévenir, c’est-à-dire à prendre en charge les garçons et les filles en proie à la tentation, ou qui n’ont encore effectué que les premiers pas. Nous devons les protéger contre le malheur qui les menace. Nous devons aussi les aider à grandir, leur faire comprendre qu’être adulte, c’est inévitablement s’imposer un certain nombre de frustrations. Et cette prévention, la collectivité même nous l’impose : que serait une cité où chacun se drogue ? Mais un tel travail, je le dis, doit être mené au dehors de toute idéologie et de toute morale. Ou du moins, toute morale autre que le souci de préserver dans un être ses chances d’épanouissement réel en fonction de ce qu’il désire. »

Comment ne pas se rappeler les propos d’Olive de nos jours ? En France comme ailleurs la tentation des politiques sécuritaires, répressives et normatives devient une réalité menaçante sur fond de résignation, de manque de résistance et de lutte. Et surtout de combattants ! Nous avons perdu le nôtre, le plus grand. Celui qui disait qu’il avait peur, que tout pouvait arriver, même le pire ! Mais que ce n’était pas une raison pour arrêter le combat, pour baisser la garde. L’extraordinaire accueillant-combattant de l’humain. Celui qui avait l’art de transformer une simple rencontre en une expérience importante pour la vie. Son histoire personnelle l’avait confronté aux discriminations, persécutions et humiliations depuis son enfance. Aussi n’était-il pas si surprenant qu’il se consacrât entièrement, et avec une particulière sensibilité, au service des opprimés, des exclus, des marginaux, et ce en prenant le plus grand soin de leurs droits et leurs devoirs envers LA VIE. Pour résumer en peu de mots : Olive donnait envie d’aimer la vie ; d’aimer l’amour, utile – essentiel ! – dans la relation transférentielle avec ces jeunes révoltés en souffrance, rattrapés par les pulsions d’autodestruction.

« Ils votent avec leurs pieds » disait-il de ces centaines d’hommes et de femmes qui viennent à Marmottan d’eux ou d’elles-mêmes, afin d’essayer de sortir de l’enfer de la drogue ou juste pour y voir plus clair. Je me souviens de ses propos nous avertissant que « nous ne faisons pas du prêt-à-porter, mais du sur-mesure », façon de signaler l’importance et la complexité de la relation entre la personnalité, le moment socioculturel et une drogue, ainsi que la place déterminante de l’intersubjectivité dans le long chemin de « l’apprentissage d’une démocratie psychique », comme il aimait appeler la reconstruction d’une vie libérée de la tyrannie de la drogue.

Amitié et amour l’avaient uni à jamais avec l’Amérique latine, surtout avec le Brésil. Il nous transmettait l’importance de connaître d’autres cultures, d’autres pratiques afin d’enrichir nos connaissances. « Allez voir ailleurs, ne restez pas entre les murs de Marmottan. » Esprit curieux et cultivé, il avait l’art de l’accueil et de l’échange avec la diversité culturelle, générationnelle, professionnelle. C’est pourquoi il accueillait volontiers, toujours souriant et chaleureux, toutes celles et tous ceux qui souhaitaient le rencontrer : « la porte de mon bureau est toujours ouverte. Venez visiter la maison. Vous pouvez nous critiquer. »

« Olive, Les latino-américains sont catégoriques sur le fait que vous êtes psychanalyste !, lui avais-je dit un jour : « Ils savent donc plus que nous ! Demandez-leur si je suis lacanien ou freudien… »

Il était hostile à tout esprit de chapelle, comme l’a écrit E. Roudinesco dans sa remarquable nécrologie publiée par Le Monde*. En effet, Olievenstein était réfractaire à tout type de réductionnisme et de scientisme, mais surtout il avait un franc parler qui lui valut des critiques souvent injustes et parfois même des accusations lâches et mensongères.

Ils sont nombreux, ceux qui ont été accueillis par Olive : son œuvre et ses écrits continueront à nous accompagner et à nous prévenir contre la menace constante des réponses faciles et rapides aux problèmes que nous avons le devoir de traiter avec le plus grand respect pour la condition humaine.

Adios Amigo !

Dr. Zorka DOMIC Centre Médical Marmottan Centre F. Minkowska CERTA : Centre d’Enseignement de Recherche et de Traitement des Addiction, Hôpital Paul Brousse

* Un grand merci à E. Roudinesco de la part de la famille, de son compagnon et de mes collègues. Son écoute bienveillante m’a été précieuse lorsque, en ce moment de tristesse, je l’ai sollicitée pour préparer la nécrologie de notre cher Claude Olievenstein.

Les jeux vidéo : Discours des parents et paroles d’adolescent

Par Elizabeth Rossé et Irène Codina, psychologues

Depuis quelques années nous recevons à Marmottan des joueurs de jeux vidéo et leurs parents. Ce que met en relief cette expérience c’est une difficulté de communication ; nous pensons que celle-ci est fondée sur une divergence de vision à propos de l’univers même des jeux vidéo. Les parents, les adultes, les non joueurs font reposer leur position sur une distinction apparente entre une réalité mondaine « matérielle » et un virtuel psychique éventuellement « pathologisé ». Sur ce dernier point, le rôle des médias est à prendre en compte ; quant ils évoquent les jeux vidéo c’est très souvent pour parler de violence et d’addiction. Or cette différence entre réalité physique matérielle et réalité virtuelle psychique conduit à « éjecter » le virtuel de toute réalité c’est-à-dire de toute normativité acceptable.

Lorsque des parents viennent nous faire part de difficultés avec un adolescent qui joue trop, qui passe tout son temps derrière l’écran, « qui n’est préoccupé que par ça », ils donnent souvent une image tout à fait négative de ce qui passionne leur enfant. Ils en parlent en terme de « gâchis », de perte de temps. L’ensemble des actes de leur enfant se trouve être interprété au travers du prisme de leur inquiétude. La pratique des jeux vidéo devient l’unique responsable de tout un ensemble de comportements : de l’absentéisme scolaire à la violence verbale voire physique, en passant par une alimentation peu équilibrée et un sommeil déréglé.

Si on peut imputer une part de ces conséquences à un usage passionnel des jeux vidéo, ne pas s’en décentrer conduit chacune des deux parties à maintenir voire à renforcer ses positions dans un face à face peu constructif. Au quotidien, cela se traduit par des conflits récurrents entre adolescents et parents : ces derniers se déclarent usés, épuisés par l’insistance de l’adolescent à obtenir toujours plus de temps de connexion. Souvent ils cèdent devant la répétition des demandes et parce qu’ils ont aussi à faire face à beaucoup d’autres préoccupations : tant concernant le travail ou un autre enfant de la fratrie… Parfois cela peut conduire à une telle crispation que la famille se trouve dans un paradoxe : plus l’adolescent tente d’échapper au regard parental (en se réfugiant devant, derrière ou dans l’ordinateur) plus le contact parental se fait persécutif et anxiogène.

Globalement les parents s’inquiètent pour l’avenir de leurs enfants tandis que ces derniers qui ont bien du mal à s’inscrire dans une temporalité cherchent à vivre un présent intense et riche en sensations et émotions. Non qu’ils ne s’intéressent à rien, mais plutôt ils investissent dans le virtuel pour compenser leur manque d’emprise dans des réalités corporelle, affective et sociale qui leur échappent. Ils s’empressent de rejoindre ces mondes rassurants dans lesquels l’évolution est sûre, l’imprévisibilité réduite et la réversibilité garantie. Et s’ils préfèrent jouer plutôt que de regarder la télé et parfois veiller tard, c’est que la soirée est le moment où il y a le plus de joueurs en ligne et donc le plus d’aventures à partager. Dans le jeu s’est construit un réseau social au sein duquel chacun occupe une place. Appartenir à une Guilde est synonyme d’engagement et implique la responsabilité de tous. Si la pression horizontale des pairs a remplacé l’autorité hiérarchique verticale – qui n’est plus supportée – elle n’en demeure pas moins forte ! Pour les jeunes, les parents ne comprennent rien et jugent trop vite leurs activités ; le jeu exige certaines compétences et en développe d’autres qui sont déjà utiles dans un monde qui s’organise de plus en plus autour de ces nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Décès du Professeur Claude Olievenstein

Claude Olievenstein

Claude Olievenstein

Le professeur Claude Olievenstein, fondateur du centre Marmottan pour le traitement des toxicomanes à Paris, s’est éteint ce dimanche 14 décembre, dans la capitale, à l’âge de 75 ans.

« Olive », le fondateur de Marmottan, « le Professeur Olievenstein » connu de tous, a été psychiatre, chef de service, professeur associé en anthropologie à l’université de Lyon, et directeur de recherches en ethnopsychiatrie et anthropologie médicale.

Né à Berlin en 1933, l’année même de la prise du pouvoir par Hitler, Claude Olievenstein est très tôt confronté aux problèmes du racisme et de la persécution des minorités. Réfugié avec sa famille en France pour fuir le nazisme, il y connaît les affres de l’Occupation.

Après un passage aux Jeunesses communistes, dont il est finalement exclu, il devient un des dirigeants de l’Union des étudiants juifs de France : à travers le judaïsme, Olievenstein se posera toujours la question du sens ou du non-sens de l’histoire, celle de la définition de la liberté, et du devoir de révolte devant les injustices. Toujours méfiant envers les ordres établis, il s’intéresse, pendant des études de médecine qu’il qualifie lui-même de « médiocres », aux groupuscules et à la marginalité. Ces préoccupations demeurent au premier plan lorsqu’il devient médecin-chef des hôpitaux psychiatriques en 1968.

Il s’inscrit dans une vision critique selon laquelle les psychiatres ne doivent pas être des « chiens de garde de la société », et est influencé par les mouvements de contre-culture, notamment californiens.

C’est une réflexion sur ces mouvements qui l’amène à se pencher sur le problème des toxicomanes en tant que marginaux, à la fois révoltés et en souffrance. Selon l’approche qu’il développe, le toxicomane est « à la fois malade et non malade », dépositaire d’une expérience qui doit être abordée comme éventuellement positive ; une place importante est ménagée, dans cette approche, à l’éprouvé, au plaisir et à la mémoire de ce plaisir.

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Fondateur en 1971, du Centre médical Marmottan (Centre expérimental d’accueil, d’orientation et de soins pour toxicomanes non alcooliques), il le définit comme une sorte de sas entre la société « normale » et tous ceux qui ne peuvent ou ne veulent y participer.

Très vite fut créé, en liaison avec Marmottan, tout un appareil institutionnel qui, travaillant selon la même éthique, contribua à constituer l’école « française » des toxicomanies. Cette école pourrait être caractérisée par le refus des réductionnismes et du scientisme. Elle est basée sur la reconnaissance de l’importance de l’intersubjectivité et sur la prise en compte de la nécessité d’un abord complexe, la toxicomanie étant considérée comme résultant d’une rencontre entre une personnalité, un produit, et un moment socio-culturel.

Marmottan est aujourd’hui reconnu au niveau international comme un centre de référence de cette approche française.

Au quotidien, cette approche se traduit par le primat de la relation humaine sur les aspects plus techniques des traitements, qu’il s’agisse de psychothérapies instituées ou de pharmacologie.

Auteur prolifique et médiatique, personnage charismatique et discuté, Claude Olievenstein a irrité autant que fasciné les politiques et les scientifiques : au niveau politique, il a, durant des années, à la fois rendu bien des services en occupant le devant de la scène sur toutes les questions de drogue, mais aussi souvent en dénonçant l’absence de politique de la jeunesse, ou la persécution des « drogués »… Médecins, psychiatres, psychanalystes, ont du mal à la classer dans une école précise, du fait de son absence d’allégeance à une chapelle, et du polymorphisme de son œuvre.

Cette œuvre entremêle en effet les travaux scientifiques (il a publié plus de 125 articles scientifiques dans des revues médicales, psychiatriques, ou de sciences humaines), les ouvrages destinés au grand public (le succès de Il n’y a pas de drogués heureux, 1977, fut considérable) et des ouvrages de réflexion phénoménologique qui débordent le cadre de la toxicomanie pour étendre à la condition humaine les réflexions issues de la clinique.

Dans ces textes, il n’hésite pas à s’exposer en tant que personne, avec ses doutes, ses ambiguïtés, ses certitudes.

Le dernier exemple en fut Naissance de la vieillesse : frappé très tôt par les signes d’une forme grave de maladie de Parkinson, il étendit ses réflexions au vieillissement et au déclin, avec une liberté de pensée et de ton parfois proche de la naïveté, mais surtout une lucidité aussi exemplaire que douloureuse.

Bibliographie (sélective) :

Ecrits sur la toxicomanie. Paris : Ed. Univ., 1973. A été traduit en espagnol

Il n’y a pas de drogués heureux. Paris : Robert Laffont ; Opéra Mundi, 1977. A été traduit en portugais (Portugal et Brésil), en espagnol, en serbo-croate

La drogue (suivi de) écrits sur la toxicomanie. Paris : Ed. Univ., 1978

Mes tables de fête : 91 restaurants parisiens. Paris : Ramsay, 1979

La vie du toxicomane : Séminaire de l’Hopital Marmottan. Paris : PUF, 1982. A été traduit en grec, en portugais, (Brésil), en espagnol, en italien

Destin du toxicomane. Paris : Fayard, 1983. A été traduit en italien, en portugais (Brésil)

La drogue ou la vie. Paris : Robert Laffont, 1983

La clinique du toxicomane. Paris : Ed. Univ., 1987. A été traduit en portugais (Brésil).

Le non-dit des émotions. Paris : Ed. O. Jacob, 1988. A été traduit en portugais (Brésil), en italien

L’homme parano. Paris : Editions Odile Jacob, 1992

De la neige plein les veines. Paris : Editions Saint-Germain-Des-Prés, 1994

Ecrit sur la bouche. Paris : éd. Odile Jacob, 1995

Naissance de la vieillesse. Paris, Odile Jacob, 1999 (A été traduit en italien)

Partager l’essentiel Saint-Jean-de-Braye, Dangles, 1999

La drogue, 30 ans après Paris, Odile Jacob, 2000

Comme un ange cannibale. Drogue, adolescents, société Paris, Odile Jacob, 2002

Toxicomanie et devenir de l’humanité Actes du 30ème anniversaire de Marmottan, Paris, Odile Jacob, 2001

Addictions sans drogue : Les jeux d’argent et de hasard, les jeux vidéos et le cybersexe

Compte-renu de l’atelier « Addictions sans drogue » animé par Aram Kavciyan, Elizabeth Rossé et Irène Codina, qui s’est déroulé aux Journées de l’ANIT, à Nîmes, les 12 et 13 juin 2008.

Au Centre Médical Marmottan nous avons développé depuis le début des années 2000 un accueil spécifique pour les personnes souffrant d’addictions sans drogue. Dans le cadre de cette consultation nous recevons principalement des joueurs d’argent et de hasard et des cyberdépendants : usagers de jeux vidéo et de sites pornographiques. Bien que nous les regroupions sous le même intitulé, ces diverses problématiques concernent des populations distinctes et ayant des caractéristiques propres.

Les joueurs de jeux vidéo (échantillon de 73 personnes) rencontrés à Marmottan :
Ce sont majoritairement des hommes (à 96%) et
des jeunes (70% sont âgés de moins de 25 ans)
83% d’entre eux se déclarent célibataires
73% habitent chez leurs parents (les deux ou l’un des deux).

Il nous semble intéressant de souligner une information en lien avec leur scolarité ; en effet les joueurs (en écho avec leurs parents) repèrent deux moments qu’ils présentent comme des décrochages : le premier a 14 ans en 4ème ou 3ème ; le deuxième au lycée, ce qui les aura amenés à redoubler voire à se trouver en difficulté particulièrement en terminale à l’approche du baccalauréat.

Les joueurs d’argent (échantillon de 109 personnes) :
– Ce sont des hommes à 80 %
– 90 % ont plus de 30 ans et un tiers ont 50 ans et plus
– 50 % vivent en couple ; 24 % au minimum sont séparés
– 58 % au minimum ont des enfants mais sur ces 58 %, la grande majorité ne les ont pas à leur charge
– 35 % au minimum sont dans une situation professionnelle précaire (chômage, intérim, inactivité)
– 37 % au minimum ont fait des études supérieures
– 25 % au minimum n’ont pas de logement indépendant
– Dans 21 % au minimum des cas, c’est la famille qui est à l’origine de la démarche

Les cyberdépendants sexuels (échantillon de 23 personnes : Une cinquantaine accueillis depuis 2006, mais seules 23 fiches statistiques sont exploitables)
– Tous sont des hommes
– 20 sujets sur 23 ont entre 30 et 50 ans, seuls 3 sujets ont moins de 30 ans
– 20 sujets ont comme motif principal de consultation une dépendance aux sites pornographiques sur internet avec masturbation
– 9 disent avoir commencé pendant l’enfance ou l’adolescence (entre 10 et 16 ans)
– 16 sont dépendants depuis au moins 10 ans
– 16 vivent en couple, 8 ont des enfants

Avant de poursuivre, nous souhaitons rendre compte du développement de ces consultations à Marmottan.

Le Dr Marc Valleur, chef de service, s’est toujours intéressé à la situation des joueurs pathologiques et les reçoit depuis plus d’une dizaine d’années en consultation.

Pour ce qui est des joueurs de jeux vidéo, se sont des parents inquiets de voir leurs enfants passer des heures et des nuits sur un ordinateur qui nous ont fait part de cette situation les premiers. Petit à petit, les joueurs sont venus nous rencontrer, souvent sur insistance de leur entourage mais de plus en plus, certains se mobilisent d’eux-mêmes.

Par la suite, des « accrocs » aux sites pornographiques à la recherche d’un lieu de soin prenant en compte la dimension addictive de leur comportement et opérant un croisement avec la question d’internet, se sont présentés à la consultation après parfois quelques essais de prises en charge infructueux.

Ces éléments n’expliquent pas l’accroissement très important de ces consultations. Pour ce faire, il faut prendre en compte le développement récent d’internet et l’émergence de nouvelles pratiques.

En ce qui concerne les jeux d’argent et de hasard, on peut penser que l’augmentation de l’offre de jeux ces dix dernières années, le nombre croissant de jeux où l’on peut gagner suffisamment gros pour voir sa vie transformée, le changement de devise (passage à l’euro), l’accessibilité facilitée à des crédits à la consommation multiples et sans contrôle, ainsi que l’ambiance sociétale (perte du pouvoir d’achat) ont participé à un accroissement des joueurs et donc des comportements problématiques.

Quant aux dépendants sexuels, l’apparition non recherchée sur l’écran de publicités pour des sites pornographiques (« pop-up »), une fois que l’utilisateur a été repéré comme usager habituel et la multiplication des liens vers ce type de sites n’ont fait que faciliter la boulimie d’images.

L’hypothèse la plus probable est que cette forme de souffrance était déjà présente antérieurement, à minima la plupart du temps (comme indiqué précédemment, certains de nos consultants ont déjà eu recours à des psychothérapeutes), mais qu’elle s’est amplifiée via internet et qu’elle trouve dans notre consultation une écoute spécifique.

Afin de relier ces différentes problématiques à celles plus connues dans nos institutions que sont la toxicomanie et l’alcoolisme, il convient de se questionner sur la place du corps.

Ce dernier est au centre de l’expérience avec des substances psychotropes.

Pour ce qui est du joueur pathologique, il y a une symbolisation à l’aide d’un médium central dans notre société : l’argent. Le joueur risque sa vie en pariant plus que ce qu’il ne possède et non plus directement son corps.

Chez les joueurs de jeux vidéo, on assiste à une absence de corps : place au « perso » (personnage), l’avatar de pixels, substitut du joueur au sein de l’univers persistant dans lequel il se bat, meurt, revit, échange…

Pour les dépendants des sites pornographiques, le corps est au centre de leur comportement avec parfois un retour intense dans la douleur lors des tentatives d’abstinence.

Aspects cliniques

Les joueurs de jeux vidéo

Nous tirons ici quelques réflexions à partir des suivis cliniques effectués. Distinguons tout de suite trois grands profils :

– les personnes souffrant de troubles psychiques graves et qui trouvent un nouvel étayage au sein de ces jeux de rôles ; pour ces consultants, il est important de les orienter le plus rapidement possible vers un lieu pouvant leur offrir des soins appropriés (centre médico-psychologique par exemple) ; cela n’exclue pas de poursuivre une prise en charge centrée autour du jeu.

– Des jeunes gens aux prises avec le conflit « ordinaire » parents/adolescent qui se cristallise autour d’une pratique excessive des jeux en ligne. En général ces suivis sont de courte durée et se déroulent plus sous la forme de bilans.

– Des personnes englouties dans une pratique addictive et pour lesquelles se conjuguent un certain nombre de difficultés tant au niveau psychologique qu’au niveau familial.

Lorsque l’on s’interroge sur la question des réalités physique et virtuelle concernant ce public, il apparaît en premier lieu que ces pratiques excessives de jeux en ligne visent à fuir une réalité souvent perçue comme inquiétante et peu maîtrisable.

Les joueurs relatent un premier décrochage au collège, une période riche en changement. En effet, à la métamorphose pubertaire et au bouleversement psycho-morphologique propre à cet âge, s’ajoute le changement de cycle scolaire qui semble faire écho aux transformations internes (l’élève n’a plus un mais des professeurs et est invité à changer de lieu d’apprentissage à chaque horaire). Cette perte de référent et cette modification spatiale dans un corps méconnu peut entraîner des angoisses fortes à l’égard de la réalité physique. La réalité virtuelle, quant à elle, offre un cadre rassurant.

L’écran limite le regard tout en proposant des univers magiques où la prévisibilité est entière ; ainsi, si le joueur exécute correctement la tâche qui lui incombe, son évolution dans le jeu est garantie et gratifiante. Dans les jeux vidéo, les règles sont simples et arbitraires ; la machine ne juge pas à la « face ». Échappant à la complexité des rapports humains et à leur surprise, les joueurs compensent leur manque d’emprise dans le réel par un investissement toujours plus grand dans le virtuel.

La fin du collège signe aussi l’intensification des relations entre pairs de sexes opposés ; c’est aussi l’âge des premiers émois et aussi des premières déceptions amoureuses. Le lycée confirme ces tendances qui ont pris racine quelques années auparavant. Pour certains, l’engloutissement dans la réalité virtuelle est la seule manière d’être au monde : paroles d’un joueur de 17 ans : « De toute façon mon corps était mort, je vivais dans le virtuel ».

Lorsque nous rencontrons ces joueurs, cela fait déjà quelques années qu’ils ont créé des liens avec d’autres par l’intermédiaire des forums autour du jeu, tandis que leurs relations avec des personnes physiques se sont amenuisées parfois jusqu’à une complète disparition. Renoncer au jeu signifie perdre ses copains et implique surtout de rencontrer des gens « In Real Life ».

Il n’est pas facile de se confronter à ce que l’on fuit avec application et notamment la relation à l’autre sexué, cette nouvelle réalité physique dans laquelle ils ne se sentent pas à l’aise. Souvent leur représentation de la relation amoureuse a été mise à mal soit par une déception vécue, soit par un événement survenant au sein de leur famille. Ce sont des personnes qui ont du mal à faire confiance.

La famille joue un rôle très important dans cette problématique avant tout adolescente ; c’est au sein de la famille que se déroule cette pratique « domestique ». Sous le regard de leurs parents, ces adolescents voyagent vers des aventures fantastiques. Cette situation spatiale (réalité physique), semble faire écho à la difficulté d’élaboration de la séparation chez ces adolescents.

Les familles peuvent donc être invitées à consulter avec l’accord du joueur de jeux vidéo ; Elles verront un soignant différent de celui qui reçoit leur proche. Cette orientation est expliquée le plus clairement possible à chacun.

Si la situation le nécessite, on proposera un entretien familial qui regroupera parents et enfant. Les caractéristiques de ces joueurs (âge et logement) nous ont incité à mettre en place ce dispositif. La tension au foyer est parfois importante et les conflits nombreux. Souvent le thème concerne l’usage de l’ordinateur. Mais au cours de ces entretiens, ce sont d’autres sujets sur lesquels parents et adolescents n’arrivent pas à communiquer qui émergent.

Cybersexe

Compte tenu de la venue très récente de ces personnes à Marmottan et du peu de sujets accueillis par nous-mêmes, les psychologues (25 environ), c’est une évidence de dire que nous manquons totalement de recul et qu’il en est ainsi pour la grande majorité de nos institutions.

Ceci étant posé, quels sont les éléments qui nous donnent l’impression d’être en terrain déjà connu :

– Le premier, c’est sans doute leur sentiment de dépendance, d’esclavagisme ; tous disent avoir essayé de mettre une fin à ce processus et ne pas y être parvenus, en dépit des conséquences négatives qu’il entraîne. Ils font une démarche parce qu’ils sentent qu’ils n’arriveront pas seuls à s’en sortir ;

– Le deuxième, c’est la fréquence avec laquelle ils nous disent avoir souffert antérieurement ou souffrir encore, au moment où ils consultent, d’une autre addiction (drogue, alcool, jeux d’argent, jeux video, achats compulsifs) ;

– Le troisième, c’est la tendance qu’ils ont ou qu’ils redoutent, de se sentir obligés de regarder des scènes de plus en plus « hard », pour parvenir à un niveau d’excitation aussi intense que celui éprouvé au début de leur pratique ;

– Le quatrième qui, par contre, ne se retrouve pas chez tous les sujets ou pas avec la même intensité, c’est l’expression d’un syndrome de manque, non seulement psychologique mais physique (très fortes douleurs musculaires notamment) lorsqu’ils tentent de s’abstenir. Par rapport à ce processus, on peut se demander, comme pour d’autres formes d’addiction, quelle est la part du psychique et du neurobiologique

D’autre part, ils ont tous un point commun : leur intérêt pour la pornographie et la masturbation qui l’accompagne toujours, a commencé avant leur connexion sur internet et certains vont d’ailleurs, simultanément à l’ordinateur mais de façon moindre, vers d’autres supports de pornographie. Mais internet a décuplé pour tous cette conduite dont ils ont grande honte.

Quant à ce qu’ils regardent comme sites, quant aux rêveries diurnes que les images engendrent et quant aux fantasmes plus ou moins enfouis qu’elles alimentent, je dirais aujourd’hui qu’ils me paraissent bien diversifiés.

Alors, parce qu’ils trouvent dans la pornographie – qui relève du point de vue le plus manifeste du voyeurisme – un moyen d’avoir une excitation sexuelle qui les mènent, via la masturbation, à une jouissance complète, faut-il dire que nous sommes dans tous les cas devant des pervers ? Rapidement dit, je rappelle que dans l’acception psychanalytique classique, une forme stable de jouissance sexuelle qui ne relève pas du stade génital, peut être qualifiée de perverse. Du coup, ne devrions-nous pas les orienter vers des structures psy plutôt que les accueillir dans nos CSST futurs CSAPA ?

En revanche, si on se réfère à un auteur comme Robert Stoller, par exemple, seule peut être qualifiée de perversion, une forme érotique de la haine, un fantasme d’hostilité, de vengeance masquée, privilégié, nécessaire à une satisfaction totale, destiné à transformer un traumatisme infantile en triomphe adulte.

J’avoue qu’à l’heure d’aujourd’hui, cette question de diagnostic me paraît bien complexe. A côté de la perversion, ne peut-on pas dire qu’il existe des « états pervers transitoires » ?

Personnellement, je n’ai reçu qu’un seul garçon, très jeune d’ailleurs, qui regardait et téléchargeait, minoritairement, des images pédophiles. Outre qu’il avait été suivi psychologiquement avant sa venue et qu’il demandait encore une aide, une de ses craintes, bien que regarder des images pédophiles relève d’une condamnation pénale, était que l’arrêt de cette pratique ne l’amène à assouvir ses pulsions dans la réalité. Lui je l’ai orienté avec son assentiment..

En ce qui concerne les autres, je distingue actuellement deux catégories :

– Ceux qui selon les aléas de leur vie amoureuse, ont eu, n’ont pas eu ou beaucoup moins eu, pendant plusieurs années parfois, d’addiction à la pornographie. Dit plus simplement, quand ils se sentaient bien avec leur partenaire, ils n’allaient pas vers les sites ou beaucoup moins, quand cela n’allait pas avec leurs partenaires, ils y allaient. On pourrait dire que leur comportement était déviant par période.

Reste bien entendu pour eux toute la difficulté d’approfondir la question du « ça n’allait pas ». Si en effet, tous reconnaissent que leur conduite déviante a contribué à éloigner leur compagne d’eux, ce n’est qu’à certains moments de leur suivi qu’ils élaborent d’autres réponses à cette question, en rapport avec leur histoire.

– Ceux qui tout en ayant une vie affective et sexuelle stable et satisfaisante (mais ennuyeuse), allaient simultanément vers des sites pornographiques, poussés par la recherche du mystère, du risque, de la transgression, manifestant ainsi une forme de fonctionnement psychique bien clivé.

Quant aux facteurs étiopathogéniques, tous font état d’épisodes de dépression antérieurs à leur addiction, expriment un profond sentiment de dévalorisation personnelle, un sentiment d’incertitude quant à leur identité, non pas seulement sexuelle, mais parfois leur identité tout court.

Certains se souviennent avoir vécu des traumatismes sexuels répétés et divers, d’autres découvrent souffrir d’une angoisse de séparation aiguë, d’autres présentent des troubles narcissiques sévères.

Aspects institutionnels

Par rapport à la pluridisciplinarité de nos équipes sur laquelle nous avons l’habitude de nous appuyer, les addictions comportementales nous amènent à solliciter l’intervention sociale, éducative et médicale de manière spécifique en fonction de chaque problématique.

Pour ce qui est des joueurs pathologiques, l’intervention sociale constitue une approche importante dans le cadre d’un accompagnement vers la réalité, de la dette notamment. Avec une certaine réserve : En effet, dans les premiers temps de la prise en charge les joueurs sont dans un état second, comme sonnés, ils ne réalisent pas pleinement leur situation. La confrontation à « la réalité dure » peut être violente et amener certains à rompre la relation thérapeutique.

Introduire un médecin dans la prise en charge s’effectue le plus souvent autour de l’idée de la nécessité d’une prescription d’un traitement (anti-dépresseur, anxiolytique, somnifère) ; une bonne partie des joueurs sont suivis, d’ailleurs, avant leur venue, par leur médecin généraliste, pour état dépressif.

La situation des joueurs de jeux vidéo ne nécessite pas la plupart du temps d’intervention sociale. Nous pensons plus à une approche éducative avec ces jeunes. Actuellement les prises en charge sont duelles, mais proposer deux référents, un pour le joueur, un pour sa famille, présente un intérêt pour faciliter sa réflexion sur son rapport à ses parents et à son ordinateur. Pour ces « accrocs » des jeux vidéo, aucune intervention médicale n’est proposée à Marmottan même. Si cela s’avère nécessaire en termes de troubles associés, une orientation est effectuée. A Marmottan, pas de réponse chimique, la parole est souveraine.

Quant aux personnes dépendantes des sites pornographiques, nous commençons à en suivre certaines en duo, psychologue-médecin, lorsque l’idée d’un traitement parait pertinente et qu’elle est bien sûr acceptée par le patient.

Dans certaines situations qui peuvent concerner autant un jeune « hardcore gamer », qu’un joueur pathologique ou qu’un « accroc » des sites pornographiques, recourir à un lieu de pause, nous apparaîtrait utile et nécessaire. Or si pour les joueurs d’argent et de hasard cela s’avère possible et déjà réalisé au sein de notre centre médical, par exemple, pour les autres problématiques cela est beaucoup moins évident. Nous manquons de lieux de rupture pour de jeunes adolescents en situation de crise au foyer et plus encore pour les personnes dépendantes des sites pornographiques qui souhaiteraient parfois changer de contexte de vie.

La prise en charge des ces addictions comportementales questionne aussi les représentations des soignants. L’aspect divertissant du jeu contribue à la « non prise » au sérieux des problématiques qui s’y rattachent ; les jeux vidéo touchent les soignants dans leur vie personnelle : soit ils sont pratiquants eux-mêmes, soit leurs enfants le sont… Enfin la sexualité renvoie chacun au plus profond de son intimité.

Conclusion

Ces différentes problématiques nous invitent à réfléchir, comme pour la toxicomanie, aux rapports de l’humain avec la jouissance et la mort.

Vieilles lunes et serpents de mer…

Éditorial du rapport d’activité 2007

 

L’activité du centre Marmottan, au cours de l’année 2007, a confirmé l’extrême diversité des problématiques addictives : au niveau des produits utilisés par les nouveaux et les anciens toxicomanes, l’alcool et la cocaïne occupent une place très importante, aux côtés des opiacés toujours présents. Au niveau des addictions sans drogues, le jeu pathologique conduit à nombre de situations dramatiques, dans toutes les couches de la population, tandis que l’addiction aux jeux en réseau, qui est très médiatisée, correspond souvent à un malaise familial ou à une crise adolescente.

Le retour de la guerre à la drogue ?

Mais un rapport d’activités doit se lire en fonction de son contexte, et il faut rappeler que l’année 2007 a été, pour nombre d’intervenants en toxicomanie, celle d’une grande inquiétude : voir revenir le temps de la guerre à la drogue, sinon de la persécution des toxicomanes.

Le retour des discours sécuritaires et musclés était cependant prévisible : il relève d’une rhétorique presque obligée lors de périodes électorales, et les élans démagogiques n’impliquant pas souvent de vrais choix politiques, cette inquiétude n’aurait pas dû dépasser ces périodes électorales.

Mais certaines mesures sont venues conforter cette impression d’un retour en arrière, sans que l’on puisse encore savoir quelle en sera la portée.

C’est en premier lieu la décision d’organiser des « stages cannabis », pour sensibiliser les simples usagers coupables du délit d’usage de stupéfiants. Ces stages sont présentés comme une mesure préventive, de type pédagogique, ce qui paraît à première vue intéressant, mais ils sont aussi obligatoires que payants, et constituent une peine d’amende qui ne dit pas son nom. Les stages sont donc, avant même leur mise en œuvre, l’exemple d’une fausse bonne idée, puisqu’ils confondent, de façon dangereuse, la dimension du soin et celle de la répression, et deux dimensions de la prévention, sociologiquement complémentaires, mais qui doivent rester bien distinctes : la prévention par l’interdit et la sanction, et la prévention par les conseils et l’information.

Une idée plus cohérente avait été un temps évoqué par le ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy, celle de remplacer les peines prévues par la loi de 1970 par une amende, ce qui eût permis de faire passer l’usage simple de cannabis du crime à la contravention. Mais elle avait été abandonnée, et il faut rappeler que c’est toujours cette loi de 1970 qui est en vigueur : un an de prison pour usage simple, quelle que soit la drogue en cause, du moment qu’elle est classée comme stupéfiant.

C’est ce fait qui explique la peine de deux ans de prison qui, désormais, est susceptible de s’appliquer au nouveau crime de conduite automobile sous l’emprise de stupéfiants : il faut bien que cette peine dépasse celle qui punit l’usage simple et privé.

La fonction de « bouc émissaire » de la drogue et des drogués se trouve ainsi, une fois de plus, réactivée.

On a pu mettre en avant l’exemple de la conduite routière et les succès de la répression en la matière pour justifier le durcissement de la politique envers les usagers de drogues : c’est confondre deux domaines et deux problématiques fort différentes, d’un côté des habitudes laxistes très anciennes qui causaient des milliers de morts inutiles, de l’autre un usage relativement marginal, dans un contexte extrêmement répressif depuis des dizaines d’années.

Une analyse minimale des effets de la loi, après bientôt 40 ans d’application pourrait éviter ces confusions :

De façon générale, la majorité des citoyens respecte l’interdit : l’existence des dépendants, héroïnomanes ou cocaïnomanes « invétérés », représente sans doute la limite, le plafond, de l’efficacité de la prohibition.

En ce qui concerne héroïne et cocaïne, le constat depuis le début des années 70 en France pourrait être celui d’un succès, certes relatif, mais consistant : ces « vrais » toxicomanes sont de l’ordre de 200 à 300 000 personnes, c’est-à-dire qu’ils sont à peu près inapparents dans des enquêtes en population générale : l’effet préventif de la loi est en fait évident.

Tous les spécialistes admettent que les déterminismes qui vont amener certains individus à faire un choix existentiel aussi dramatique que l’héroïnomanie sont complexes, et incluent de sérieux problèmes sociaux, culturels, et psychopathologiques.

En ce qui les concerne, aggraver les peines, durcir le contexte prohibitionniste serait, à l’évidence, sans effet. Et contrôler, serrer de près, les pratiques thérapeutiques, en organisant un relais entre soin et justice, qui rende compte aux autorités judiciaires du fil du traitement (la création de « médecins relais ») est une tentation illusoire.

Ce contingent de « résistants » à la prohibition existe pour tous les champs possibles, y compris d’ailleurs celui de la sécurité routière, où existeront toujours des « récidivistes » de la « conduite avec facultés affaiblies », pour lesquels les mesures générales de prévention routière s’avèreront inefficaces.

Ce fait ne justifie pas de parler en bloc d’échec de la prohibition, ni d’échec des mesures de contrôle sur les routes. Il montre simplement qu’il serait utopique de chercher à « éradiquer » la drogue, ou à parvenir à un nombre zéro de toxicomanes dans la société, ou d’alcooliques au volant.

La généralisation des traitements de substitution, la politique de réduction des risques, ont grandement dédramatisé la vie quotidienne des dépendants, et contribuent, de fait, à une prévention de la délinquance. Les progrès dus à ces deux stratégies de santé publique démontrent qu’il faut des approches différentes pour la prévention en population générale, et pour celle qui concerne des populations minoritaires, pour lesquelles réduction des risques et accès aux soins sont les premiers mots d’ordre.

L’exception cannabis

Dans ce tableau, le cannabis fait certes figure d’exception. Avec plus de 7 millions d’expérimentateurs, et une majorité de jeunes qui avouent en avoir consommé, il s’agit de la seule drogue illicite utilisée assez massivement.

La question de sa dangerosité, comparée à celle de l’alcool et du tabac, est récurrente, et donne lieu à quantité de débats, généralement peu scientifiques.

L’étude SAM (stupéfiants et accidents mortels) a montré que le cannabis au volant était responsable de 2,5% des accidents : c’est beaucoup, pour ceux qui voudraient que le « shit » ne soit pas plus dangereux que l’eau du robinet. C’est bien peu en regard de l’alcool, en cause dans près de 30% des accidents, et même que l’alcool à dose légale (en dessous de 0,5 g/l de sang) qui est en cause dans 3,5% des accidents.

Nous recevons bon nombre d’usagers de cannabis, dont certains dépendants qui consomment le plus souvent ce produit de longues années. Mais il existe de façon constante, depuis les années 70, un décalage entre l’activité policière, qui traite en majorité la question du cannabis, et les institutions soignantes spécialisées en toxicomanies, qui reçoivent des usagers de cannabis, mais en proportion plus faible.

Ceci tient à la faible addictivité de cette substance, et donc au fait que la dépendance est rarement – en proportion – à l’origine de demandes.

Malgré tous les arguments théoriques pour ne pas parler de « drogues douces » et de « drogues dures », la seule façon d’innover quelque peu serait sans doute de prendre acte de la réalité et de traiter le cannabis différemment de l’héroïne, de la cocaïne, et des autres drogues illicites.

L’idée qui avait été évoquée de verbaliser l’usage paraissait plus réaliste que les propositions actuelles.

Toutes ces mesures nouvelles sont inscrites dans la loi de prévention de la délinquance : c’est donc le toxicomane délinquant qui renaît, après les années sida qui avaient mis en avant, au contraire, le toxicomane malade, relevant de traitements adaptés, sinon l’usager de drogues citoyen et partenaire potentiel de politiques de santé publique.

La relation au cœur du traitement

L’activité du Centre Marmottan, depuis maintenant plus de 35 ans, démontre qu’il est possible d’aborder dans leur ensemble les problèmes de dépendance, des cas les plus « historiques » d’héroïnomanie ou de cocaïnomanie, aux drames souvent non moins tragiques dus à l’abus de jeu ou à d’autres addictions sans drogues.

Elle démontre donc qu’il faut savoir évoluer tout en conservant l’essentiel, qui est dans notre cas l’accueil, l’écoute, le soin à des sujets en détresse. La qualité de cet accueil est la condition de toutes les thérapeutiques possibles, qui peuvent être mises en œuvre pour toutes les formes de dépendance.

Aux inquiétudes mentionnées plus haut s’en ajoute de plus importantes et de plus fondées : les usages de drogues continuent de se diversifier, la « polyconsommation » est une règle plus qu’une exception, et l’idée que les traitements de substitution allaient résoudre une fois pour toutes le problème était évidemment une illusion.

La toxicomanie de personnes âgées devient aujourd’hui un problème, alors que, dans les représentations et les discours, elle est toujours associée à l’adolescence, ou du moins à la jeunesse.

La montée de l’usage de cocaïne, que nous avons notée depuis plusieurs années, se poursuit, et inquiète les responsables, le président de la MILDT ayant même évoqué un « tsunami » de cocaïne.

Les réunions sur ce sujet se multiplient, et l’on y met en avant les recherches pharmacologiques qui font espérer « le » traitement chimique, et les techniques cognitives ou comportementales qui seraient « les » psychothérapies adaptées.

Or il faut redire que si les traitements de substitution ont changé radicalement le vécu de l’héroïnomanie, ils n’ont pas fait disparaître le problème, et que la toxicomanie, quel que soit le produit en cause, (et pour un patient donné, ces produits sont souvent nombreux) relève toujours, au mieux, d’approches thérapeutiques complexes, dans lesquelles la relation reste le cœur du traitement.

La cocaïnomanie n’est, en soi, pas plus difficile à soigner que d’autres formes de toxicomanies, ni même que le jeu pathologique, qui ressemble d’ailleurs par bien des aspects à une dépendance aux excitants.

En matière de jeu, l’expertise collective de l’INSERM menée cette année sera la première mesure effective prise par les autorités sanitaires, ce qui constitue enfin une certaine reconnaissance du problème, qui mérite d’être considéré comme une vraie question de santé publique.

Cette expertise confirmera l’intérêt de classer le jeu excessif ou pathologique parmi les addictions, et la nécessité de former les intervenants des futurs centres d’addictologie.

C’est au niveau de l’ensemble des addictions, qu’il s’agit en effet d’adapter les pratiques, de poursuivre les efforts de recherche, et d’améliorer la clinique.

C’est ce à quoi s’emploient quotidiennement et depuis des années les soignants du centre Marmottan, non sans difficultés au quotidien.

Les obstacles tiennent pour beaucoup à nos présupposés, et au contexte persistant de dramatisation de « la drogue » bouc-émissaire, contre partie de la banalisation de l’alcool ou des addictions sans drogues.

Nous espérons continuer, à l’approche des quarante ans de mai 1968, à défendre un style de clinique créé au début des année 70 par Claude Olievenstein, et des valeurs qui sont les nôtres depuis la création du centre : le respect et l’accueil de personnes en souffrance, souvent stigmatisées et rejetées par la société. Nous espérons aussi conserver notre capacité de remise en question, en conjuguant les approches les plus scientifiques des addictions, et les « approches de sens », qui, patient par patient, nous obligent à tenter d’expliquer les souffrances dans leurs mécanismes physiologiques, mais aussi de comprendre la « maladie » dans le cours de l’histoire d’une vie.

Comme elles continuent de nous obliger à nous interroger sans cesse sur les sources sociétales de la montée des addictions, et à questionner sans cesse notre rôle, en tant qu’institution, dans cette société.

Marc Valleur

Le jeu pathologique

Marc Valleur, juillet 2004 – (d’après « Le jeu pathologique », (PUF, 1997), paru in revue « Toxibase »)

Introduction

Tant aux niveaux des définitions ou modèles explicatifs, que des propositions d’action thérapeutique ou préventive, il n’existe actuellement pas de consensus en matière de jeu pathologique.

Il ne s’agit pas ici d’une simple opposition entre des écoles différentes de techniciens du psychisme, qui débattraient du meilleur moyen de comprendre et de soigner une maladie ou un symptôme. (Les psychanalystes qui s’opposeraient aux comportementalistes, aux systémistes, aux biologistes…)

La frontière est plutôt entre une conception spécifique, tendant à faire du jeu pathologique une entité, une forme pathologique en soi, et d’autre part un abord de ce problème comme simple artefact, labile, et sans grand intérêt, du jeu en soi.

– D’un côté, se trouvent des spécialistes qui voient dans le jeu pathologique une maladie, et qui vont en chercher les déterminants psychologiques, biologiques, neurophysiologiques, voire génétiques. Ces recherches visent à mettre au point des stratégies thérapeutiques, domaine dans lequel il n’y a guère d’accord, comme en témoigne la gamme très large des propositions. Nombre d’auteurs admettent qu’il y aurait un lien entre ce « modèle de maladie », et la promotion de l’abstinence totale et définitive comme seul but de traitement. Ajoutons qu’à l’évidence, il se trouvera plus, parmi les tenants de ce modèle, de personnes prêtes à considérer le jeu pathologique comme un fléau social, et à donner des jeux d’argent et de hasard en général une image négative. Luttant contre une maladie, les médecins relaient en quelque sorte les prêtres, qui avaient lutté contre le péché, et longtemps soutenu les interdictions légales en matière de jeu.

 A l’opposé, les problèmes des joueurs vont être abordés de façon sociologique, anthropologique, et seront perçus comme l’extrémité d’une courbe de Gauss : il est admis de nos jours que la majorité de la population joue régulièrement aux jeux de hasard. Il est normal que d’un côté, à une extrémité de la courbe, se trouve une minorité d’abstinents, primaires (ceux qui n’ont jamais joué), ou secondaires (ceux qui ont arrêté). De l’autre côté se retrouvera une autre minorité, celle des personnes qui jouent plus que les autres, qui jouent trop.

Dans cette optique, il y a donc un continuum sans faille, dans les problèmes de jeu, tant dans les comparaisons que l’on peut faire entre telle ou telle personne, que pour un individu donné, dont la conduite de jeu pourra varier avec le temps, se déplacer le long de ce continuum, du non problématique au plus problématique.

Il n’y aurait alors pas forcément à chercher un « traitement », pour une maladie inexistante, mais simplement à promouvoir des stratégies d’apprentissage et de contrôle, de promotion du jeu modéré.

Ces oppositions de regard ne font que reproduire et transposer dans les mêmes termes les différents discours qui s’opposent, depuis des décennies, en matière de toxicomanies, d’alcoolisme ou de tabagisme :

La place singulière du jeu, longtemps considéré comme sacrilège, puis légalisé, et aujourd’hui largement répandu, encouragé, dans tous les pays, en fait un champ particulièrement éclairant pour l’ensemble des « nouvelles addictions ».

Il existe des arguments très forts en faveur de l’inclusion du jeu pathologique dans cette notion d’addictions au sens large, qui dépasse la dépendance aux substances psychoactives pour s’étendre aux « addictions comportementales » (les toxicomanies sans drogue).

 Tout d’abord la parenté entre les divers troubles qui s’y trouvent regroupés, et qui sont définis par la répétition d’une conduite, supposée par le sujet prévisible, maîtrisable, s’opposant à l’incertitude des rapports de désir, ou simplement existentiels, interhumains.

 Ensuite, l’importance des « recoupements » (« overlaps ») entre les diverses addictions : il existe une importante prévalence de l’alcoolisme, du tabagisme, des toxicomanies, voire des troubles des conduites alimentaires, chez les joueurs pathologiques.

 Aussi, la fréquence régulièrement notée de passages d’une addiction à une autre, un toxicomane pouvant par exemple devenir alcoolique, puis joueur, puis acheteur compulsif…

Enfin, la parenté dans les problématiques et les propositions thérapeutiques. Particulièrement importante est ici l’existence des groupes d’entraide, basés sur les « traitements en douze étapes », de type Alcooliques Anonymes. Ce sont en effet exactement les mêmes principes de traitements de conversion et de rédemption morale qui sont proposés aux alcooliques, aux toxicomanes, aux joueurs, et acceptés par nombre d’entre eux.

Ces mouvement d’entraide, qui recourent à un concept très métaphorique de maladie, soulignent la dimension de souffrance personnelle, de sentiment subjectif d’aliénation des sujets, des joueurs pathologiques, qui, comme les alcooliques ou les toxicomanes, ont l’impression d’être la proie d’un processus qui leur échappe. Subjectivement en tout cas, il n’y a pas continuité, mais rupture, saut qualitatif, entre joueur et joueur « pathologique », comme entre usager de drogues et toxicomane.

Le libéralisme, le droit à disposer de soi-même, la promotion d’approches visant à l’auto-contrôle, et non à l’abstinence, ne doivent pas devenir le moyen de nier la souffrance de ceux qui en viennent à « toucher le fond », et à leur refuser les moyens de « s’en sortir ».

Afin d’aider la minorité qui souffre de sa dépendance au jeu, et de mieux étudier un phénomène encore trop opaque, il serait sans doute préférable qu’une part des revenus du jeu soit utilisée aux recherches, à la prévention et au traitement du jeu pathologique.

Ceci permettrait de soutenir des traitements ou des actions préventives visant la pratique du jeu contrôlé. Et permettrait d’ancrer certaines recherches sur l’étude des fonctions sociales et individuelles du jeu « normal ». Le versant social et culturel, les déterminants anthropologiques, historiques, du jeu pathologique , seraient mieux étudiés : les recherches en la matière ne porteraient pas simplement sur les neuromédiateurs et la physiologie cérébrale…

Le jeu pourrait alors pleinement devenir un modèle dans le traitement par la société de ces nouvelles entités morbides, les addictions, qui sont encore trop souvent traitées à la fois comme vice, crime, infériorité ou maladie. La déprohibition, même pour certaines drogues, pourrait apparaître comme un objectif plus réaliste, s’il existait la certitude qu’elle ne serait pas une simple loi libérale destinée aux plus forts, abandonnant à leur sort ceux qui tombent dans le piège de la dépendance.

Le jeu dans la société

En dehors du jeu chez l’enfant, les pratiques ludiques occupent une place importante dans la vie des adultes, comme dans la marche de la société.

Le jeu est, selon Huizinga, une action « dénuée de tout intérêt matériel et de toute utilité » : il s’intéresse avant tout aux formes de jeu qui impliquent une forme de compétition entre les joueurs, excluant de son étude les jeux d’argent.

Ce dernier point amènera R. Caillois à proposer certaines modifications dans la définition même du jeu. Selon lui, le jeu est une activité :

  •  Libre et volontaire, source de joie et d’amusement : notons, pour notre propos, l’importance de la formule ; « un jeu auquel on se trouverait obligé de participer cesserait aussitôt d’être un jeu »…
  •  Séparée, soigneusement isolée du reste de l’existence, et accomplie en général dans des limites précises de temps et de lieu.
  •  Incertaine.
  •  Comportant des règles précises, arbitraires, irrécusables.. (dans les jeux fictifs, non réglés, le « comme si » tient lieu de règle)
  •  Fictive : accompagnée d’une conscience spécifique de réalité seconde…(Jeu fictif et jeu réglé sont en quelque sorte deux catégories qui s’excluent mutuellement.)
  •  Improductive : ce caractère tient compte de l’existence des enjeux, des paris, des pronostics, bref des jeux de hasard et d’argent.

Si certaine des positions de Caillois peuvent aujourd’hui être discutées, c’est avant tout du fait de l’évolution de la société. Sur le fond, ses distinctions restent indéniablement valides.

R. Caillois propose une classification des jeux, qui est aujourd’hui bien connue et utilisée dans tous les secteurs de la connaissance concernés par la notion de jeu :

  •  L’agon est le champ des jeux de compétition, qui faisait l’essentiel des analyses de Huizinga.
  •  La mimicry celui des jeux de rôles, d’imitation…
  •  L’ilinx regroupe les jeux de vertige, de sensation pure.
  •  L’alea est le champ qui nous intéresse particulièrement : c’est celui des jeux de hasard, parmi lesquels se trouveront les jeux d’argent.

Les lieux et les instruments du jeu

Par définition, dans les jeux de hasard et d’argent, ceux qui sont à la base du jeu pathologique, l’argent est la mise, l’enjeu, les instruments sont des mécanismes à produire du hasard, c’est-à-dire à donner un résultat indépendant de l’habileté du joueur. Ces instruments sont très divers, mais en fait, relèvent de quelques catégories fort simples.

  •  Les dés : sont dérivés des osselets, os du carpe de moutons, qui présentent deux faces larges et des bords étroits. La forme la plus simple de « machine à hasard » est toujours une pièce à deux faces, le « pile ou face » étant un jeu où les probalités sont de 50% pour chaque éventualité.
  •  Les cartes furent introduites en occident au XIVeme siècle, par les Arabes, mais sont d’origine chinoise, et purent se répandre en Europe à partir de l’invention de l’imprimerie.
  •  Les grilles ou tableaux peuvent être rapprochés des marelles, avec leur lien à une représentation sacrée de l’univers.
  •  Les machines à sous, inventées aux États-Unis à la fin du siècle dernier, constituent la version la plus actuelle et la plus répandue des machines à produire du hasard.

Les lieux du jeu

Sont aussi très divers, mais correspondent à deux grands groupes : les lieux organisés, et résevés à cet usage, et les lieux privés…

Le casino

Représente la forme emblématique de la première catégorie. Ils tendent de plus en plus à s’adjoindre des lieux plus accessibles, moins « élitistes », et surtout plus rentables, ouverts au plus grand nombre, sous la forme de grandes salles réservées aux machines à sous…

Les hippodromes

Sont aussi des lieux réservés au culte du jeu et à celui du cheval. Les paris sur les courses de chevaux, organisés par le P.M.U, peuvent aussi se faire en suivant le tiercé du dimanche devant son écran de télévision, et parmi les des bars, tabacs, PMU (qui permettent d’augmenter le nombre de parieurs ) se trouvent les « courses par course », où l’on peut parier en temps réel au fur et à mesure du déroulement des épreuves…

Les cercles

Ce sont en principe des lieux privés, organisés en associations…

Les points de vente du P.M.U et de la Française des Jeux sont en fait très répandus, et, comme il est possible d’y jouer aux courses, certains « jeux d’impulsion », sous la forme de cartes à gratter au résultat instantané, ne font que reproduire les symboles et le principe des machines à sous…

INTERNET ou l’emergence du « casino virtuel »

Le premier « casino virtuel » a été ouvert sur Internet en août 1995, accueillant chaque mois plus de 7 millions de visiteurs sur le site « Internet Casinos » : c’est devant son écran que tout un chacun pourra bientôt s’adonner au jeu…

Aspects économiques

Le jeu occupe désormais une place importante à la fois dans l’activité d’une partie majoritaire de la population, et dans l’économie.

En France, les chiffres d’affaires des établissements de jeu montrent qu’ils sont source de revenus importants, d’emplois, mais aussi bien sûr de prélèvements de l’Etat.

Les casinos, s’ils ne sont plus les lieux des conduites extrêmes du joueur de Dostoïevski, tirent maintenent la majorité de leurs ressources de l’exploitation des machines à sous : plus de 80% de leurs revenus proviendrait de ces « bandits manchots ». Même ici donc, le grand nombre de petits joueurs tend à remplacer la présence de quelques grands « flambeurs ».

En 1995, il existe en France 154 casinos, qui totalisent un chiffre d’affaires de 6,1 milliards de francs. (Revue « Challenge », août 1996).

Les prélèvements de l’Etat se montent à 3,1 milliards de francs

Le P.M.U ( Pari mutuel urbain), contrôlé par l’Etat, gère les paris sur les courses de chevaux, en dehors des hippodromes. Si le « tiercé » (créé en 1954, avec le quarté, de 1976 et le quinté, de 1989…) reste une institution, il souffre de la concurrence des autres formes de jeu,qui prolifèrent. Mais reste encore (en 1995), la principale institution de jeux, avec un chiffre d’affaires de 33,8 milliards de francs, rapportant à l’Etat 5,6 milliards.

La Française des jeux, dont les produits sont accessibles auprès de plus de 40 000 points de vente, gère le loto (créé en 1976, successeur de la loterie nationale, qui disparaît en 1980), le loto sportif (1985), et l’ensemble des jeux instantanés, fondés sur le support des cartes à gratter… Elle tend progressivement à dépasser le P.M.U quant au chiffre d’affaires : 33,5 milliards de francs, rapportant à l’Etat 9 milliards de francs.

Les joueurs

Les joueurs, si l’on appelle ainsi toute personne qui participe, occasionnellement ou régulièrement à un jeu de hasard et d’argent, ne sont donc en rien des individus à problèmes, ou des marginaux. Au contraire, ils sont devenus majoritaires dans la société actuelle.

Les difficultés économiques, la crise, sont souvent mises en avant pour expliquer cet engouement pour les jeux d’argent : le caractère « bloqué » d’une société où l’ascension deviendrait de plus en plus difficile, s’ajoute à l’omniprésence de la hantise du chômage. Le travail, même s’il devient précieux, n’apparaît pas à beaucoup comme suffisant pour atteindre des objectifs idéaux. cela expliquerait pourquoi les joueurs se recrutent essentiellement parmi les couches populaires ou moyennes de la société : les ouvriers représentent en France 27% et les employés 19% des joueurs du P.M.U.

Ces derniers constituent de fait une catégorie de joueurs traditionnels : 62% sont des hommes, et la moyenne d’âge est assez élevée, dépassant 55 ans. Les « nouveaux jeux », notamment les cartes à gratter attirent une clientèle plus diversifiée, plus jeune et plus féminine.

En fait, la richesse ou la gloire (voir le succès du « millionnaire », dû certainement au fait que l’un des avantages du gagnant est le droit de participer à une émission de télévision), objets de rêve, ou d’idéal, sont devenus, à travers le jeu, les éléments courants d’une distraction, où elles n’existent que comme potentialité, virtualité. La plupart des joueurs « sociaux », réguliers ou occasionnels, qui jouent au loto, savent que leur chance de décrocher un gros lot est infime : la probabilité d’avoir une grille gagnante est de une chance sur 13 983 816…Mais les images médiatisées des quelques gagnants devenus milliardaires, ainsi que le caractère démesuré des gains, par rapport aux revenus des joueurs, sont une source infinie de rêverie.

Les stratégies publicitaires en la matière sont en soi un champ de recherches. Elles peuvent faire une place à une fausse logique, entretenir une illusion sur les possibilités de gain. Le slogan « cent pour cent des gagnants ont tenté leur chance », peut suggérer un faux syllogisme inconscient « cent pour cent des joueurs sont des gagnants ». Mais le plus souvent, les publicités s’adressent ouvertement à l’irrationnel chez l’individu, encourageant une vision magique, « régressive », bref ludique, de la chance. En 1996 par exemple, une affiche de la Française des jeux montre un trèfle dont la quatrième feuille est constituée par une coccinelle. L’appel ironique à la superstition, l’invocation de la déesse Fortune, est doublée d’une attribution magique aux capacités du joueur potentiel : « avec une chance pareille, rien ne devrait vous résister – N’oubliez pas de jouer d’ici le vendredi 13… »Les visions magiques et irrationnelles ne sont donc pas l’apanage des joueurs pathologiques : elles sont l’un des éléments du plaisir lié au jeu.

La plupart des joueurs ne croient donc pas très sérieusement aux possibilités de gain, mais conçoivent le jeu comme un amusement. Le budget du jeu s’intègre alors dans le budget familial parmi d’autres formes de loisir, vacances, cinéma, restaurant, etc.

Le jeu pathologique – Définitions

Pour qualifier quelqu’un de joueur, il faut qu’il s’adonne à cette activité avec une certaine fréquence, voire qu’il en ait fait une habitude. Selon le sociologue J.P.G. Martignoni-Hutin, le joueur serait, non celui qui joue, mais celui qui rejoue : cette définition peut être considérée comme le minimum requis…Avec Igor Kusyszyn, (professeur de psychologie à Toronto), il est possible de distinguer plusieurs grandes catégories de joueurs :

Les « joueurs sociaux » : ce sont des personnes qui jouent soit occasionnellement, soit régulièrement, mais dans la vie desquelles le jeu garde une place limitée, celle d’un loisir.

Les joueurs professionnels

Les joueurs pathologiques, « addicts », seraient donc une catégorie à part. A la dépendance, s’ajoute dans leur cas la démesure, le fait que le jeu est devenu centre de l’existence, au détriment d’autres investissements affectifs et sociaux.

Il existe de fait, dans ce genre de classification, un déséquilibre, une mise en exergue du jeu pathologique, du simple fait qu’il se retrouve sur le même plan que le jeu « social », toléré ou encouragé, et qui ne pose pas de problèmes aux usagers. Des sociologues ou des anthropologues regrettent que l’étude d’un phénomène quantitativement marginal puisse servir de grille principale d’analyse, ou de base pour des décisions politiques, en s’appliquant de fait alors à un ensemble beaucoup plus vaste : les joueurs dans leur ensemble pourraient être pénalisés, ou stigmatisés, par des analyses basées sur le jeu pathologique.

Descriptions du jeu pathologique

Caractéristiques

Le psychanalyste Edmund Bergler propose, en 1957, dans son ouvrage « the Psychology of Gambling » une description systématique du « gambler », du joueur pathologique, qu’il oppose au « joueur du dimanche » (« not everyone who gambles is a gambler », écrit-il).

Selon lui, il existe six caractéristiques du joueur pathologique :

1/ Il doit jouer régulièrement : il s’agit là d’un facteur quantitatif, mais dont l’importance ne peut être négligée : comme pour l’alcoolisme, la question est ici de savoir à partir de quand le sujet joue « trop ».

2/ Le jeu prévaut sur tous les autres intérêts

3/ Il existe chez le joueur un optimisme qui n’est pas entamé par les expériences répétées d’échec.

4/ Le joueur ne s’arrête jamais tant qu’il gagne.

5/ Malgré les précautions qu’il s’est initialement promis de prendre, il finit par prendre trop de risques.

6/ Il existe chez lui un vécu subjectif de « thrill » (une sensation de frisson, d’excitation, de tension à la fois douloureuse et plaisante), durant les phases de jeu.

Le jeu pathologique selon le D.S.M.

Comme nous l’avons déjà signalé, l’apparition « officielle » du jeu pathologique comme entité individualisée dans la littérature à visée médicale et scientifique, remonte seulement à 1980, avec son introduction dans le D.S.M.III. Selon le D.S.M.IV (1994), le jeu pathologique est défini comme :

« Pratique inadaptée, persistante et répétée du jeu, comme en témoignent au moins cinq des manifestations suivantes :

1/ Préoccupation par le jeu (p. ex. préoccupation par la remémoration d’expériences de jeu passées ou par la prévision de tentatives prochaines, ou par les moyens de se procurer de l’argent pour jouer).

2/ Besoin de jouer avec des sommes d’argent croissantes pour atteindre l’état d’excitation désiré.

3/ Efforts répétés mais infructueux pour contrôler, réduire ou arrêter la pratique du jeu.

4/ Agitation ou irritabilité lors des tentatives de réduction ou d’arrêt de la pratique du jeu.

5/ Joue pour échapper aux difficultés ou pour soulager une humeur dysphorique (p. ex. des sentiments d’impuissance, de culpabilité, d’anxiété, de dépression)

6/ Après avoir perdu de l’argent au jeu, retourne souvent jouer un autre jour pour recouvrer ses pertes (pour se « refaire »)

7/ Ment à sa famille, à son thérapeute ou à d’autres pour dissimuler l’ampleur réelle de ses habitudes de jeu

8/ Commet des actes illégaux, tels que falsifications, fraudes, vols ou détournement d’argent pour financer la pratique du jeu

9/ Met en danger ou perd une relation affective importante, un emploi ou des possibilités d’étude ou de carrière à cause du jeu

10/ Compte sur les autres pour obtenir de l’argent et se sortir de situations financières désespérées dues au jeu

Ces critères reprennent en grande part ceux qui ont été proposés pour la définition de la « dépendance aux substances psychoactives ».

Ils font du jeu pathologique un ensemble équivalent aux toxicomanies dans une vision aujourd’hui traditionnelle où elles sont abordées comme entité morbide. D’autres grilles ou questionnaires ont été élaborées dans un esprit proche, celui de servir de base diagnostique, ainsi que d’outil d’évaluation statistique, ou d’appréhension de l’évolution d’un cas.

Ainsi du South Oaks Gambling Screen, de Lesieur et Blume (1987). Cette grille comporte des questions essentiellement centrées sur le jeu et l’argent, et est considérée comme un outil statistique fiable par la plupart des auteurs.

Nous verrons que l’association Gamblers Anonymous, Joueurs Anonymes, propose aussi un questionnaire, à visée essentielle d’auto-évaluation, destinée à aider le futur membre à prendre conscience de ses difficultés.

Il existe une adéquation et une parenté entre les critères diagnostiques du D.S.M, et les questions du South Oaks Gambling Screen (S.O.G.S) : ce dernier apparaît donc un outil adapté, dans la mesure où l’on accepte les définitions du premier.

Relations de comorbidité

La trajectoire du joueur

Est aussi souvent mise en avant comme élément descriptif : avec Custer, et après Dupouy et Chatagnon, (1929) il est généralement admis que le joueur pathologique passe par une série de phases stéréotypées :

  •  Phase de gain (winning phase) : c’est l’engagement dans le monde du jeu, avec peut-être la croyance que les gains vont pouvoir résoudre toutes les difficultés existentielles préexistantes. Mais il est aussi possible de faire l’hypothèse que le gain, la rencontre avec la chance, a sinon le rôle traumatique d’une « rencontre avec le réel », du moins celui d’une déstabilisation, d’une perte des repères antérieurs…
  •  Phase de perte (loosing phase) : le joueur va rejouer pour tenter de « se refaire ». Avec Dupouy et Chatagnon, on pourrait souligner ici l’apparition d’une dimension de besoin : besoin d’abord d’argent, reporté sur l’idée de gagner à nouveau, besoin ensuite simplement de rejouer…
  •  Phase de désespoir (desperation phase). Longtemps, c’est dans le jeu que le sujet cherche la solution de difficultés qui s’accumulent.

L’ensemble de ces phases s’étend sur plusieurs années, de 10 à 15 ans, favorisant l’assimilation métaphorique du jeu pathologique à une maladie physique progressive…

Pour Custer, il n’y aurait alors que quatre types d’issues à cette situation : le suicide, la délinquance et l’incarcération, la fuite, ou l’appel à l’aide.

Ici encore, le parallèle s’impose avec les toxicomanies. Dans celles-ci, il est en effet classique d’admettre que la prise de drogues est d’abord vécue subjectivement de façon très positive : c’est la découverte du plaisir, du « flash », de la « planète », puis la classique lune de miel. La dépendance même peut, à certaines périodes et chez certains sujets, jouer le rôle d’une forme d’adaptation, voire d’automédication. C’est plus tard, après que la prise de drogues ne semble plus correspondre qu’à la satisfaction d’un besoin, et que tous les autres investissements se sont évanouis, que le sujet tentera de changer, de façons diverses. Selon la formule des Alcooliques Anonymes, il faut toucher le fond pour réellement vouloir changer, et s’en sortir.

Cette description par phases serait l’une des bases d’une description de type médical du jeu, qui peut apparaître comme une maladie progressive, aux étapes prévisibles.

Rosecrance (1986) résume, pour la critiquer, cette vue du « joueur compulsif » :

Elle serait caractérisée par les éléments suivants :

1/ Il y a un phénomène unique qui peut être nommé « jeu compulsif ».

2/ Les compulsifs sont qualitativement différents des autres joueurs.(…)

3/ Les compulsifs manifestent progressivement une « perte de contrôle » qui les rend incapables d’arrêter de jouer.

4/ Le jeu compulsif est un état progressif qui suit un développement inexorable à travers une série de phases distinctes :

 a/ Le succès initial, accentué par un « gros score », conduit à l’attente irréaliste que des gains encore plus grands seront obtenus par une augmentation du jeu.

 b/ Avec l’augmentation du jeu, le succès diminue…

 c/ Le besoin de continuer à jouer (…) devient une compulsion dévorante.

 d/ La conception de l’argent se change en moyen plutôt qu’en fin.

 e/ Le joueur souffre de troubles psychologiques- des sentiments de culpabilité inconscients le mènent à une situation où il est incapable de s’arrêter quand il gagne.

 f/ Le stade suivant est celui de la quête (chase) (…)

 g/ Des tentatives fréquentes d’abstinence…

 h/ Le joueur touche le fond…

5/ Le jeu compulsif est une condition permanente et irréversible. Le seul « traitement » est l’abstinence totale et irréversible.

Épidémiologie, profils sociologiques Les études en population générale tendent à démontrer que le jeu pathologique est relativement répandu : le D.S.M IIIR en estime la prévalence entre 2% et 3% de la population adulte., et note que le trouble est plus fréquent chez l’homme que chez la femme.

Aux États-Unis (Lesieur), comme au Canada (Ladouceur), des études tendent à démontrer que cette prévalence est de l’ordre de 1 à 2%, plus si l’on inclut dans la recherche les « joueurs à problème ». Ces chiffres sont l’objet de débats, et d’autres auteurs tendent à montrer qu’ils seraient plus près de 0,5%… Mais l’important est de noter que pour tous, cette prévalence du jeu pathologique est nettement plus importante dans les pays ou les États dans lesquels le jeu est légalisé, et le jeu « normal » répandu. Le Nevada reste une région où le jeu pathologique est très répandu, alors que l’Iowa, dans lequel le jeu est réprimé, compte moins de joueurs pathologiques que les autres états nord-américains. En Europe, l’Espagne serait le pays où le problème est le plus important, du fait de la très grande diffusion des jeux, notamment des machines à sous…

Environ 500 000 machines à sous sont réparties sur le territoire ibérique, elles sont insérées dans presque tous les lieux publics et on estime que 8% des Espagnols s’y adonnent, d’autant que les tragaperras, avec leurs multiples boutons et combinaisons, leur voix de synthèse, donnent au joueur l’illusion du contrôle. Le juego est devenu quasiment la première industrie du pays et l’Espagne occuperait le troisième rang mondial en matière de dépenses liées aux jeux de hasard (l’équivalent de 120 milliards de Francs).

Les études indiquent aussi qu’il s’agit d’une problématique surtout masculine, jeune (surreprésentation des étudiants), et qui touche particulièrement les couches socialement défavorisées ou minoritaires de la population.

Il semble d’ailleurs que jeunes, pauvres, et femmes, soient sous-représentés dans la population admise en traitement, donc dans certaines études.

Le fait que le jeu pathologique soit avant tout masculin, comme d’ailleurs les toxicomanies aux drogues illicites, et, de façon moins nette aujourd’hui, l’alcoolisme, n’est pas sans poser un certain nombre de questions.

Les différences entre hommes et femmes concernent tant de niveaux, que les causes de cette différenciation ne peuvent être évidentes a priori.

Mais ce serait une démarche précipitée que de chercher les raisons de cette prédominance masculine dans le champ de la physiologie, ou de la psychologie. (Selon Bergler, il n’y a guère de différences entre les raisons, les déterminismes psychiques, qui conduisent une femme ou un homme à jouer. Plus récemment, R. Tostain dit la même chose, en des termes plus sophistiqués : « Que des femmes, elles aussi, mettent leur phallus sur le tapis ne me paraît pas être un obstacle à cette interprétation. Si une femme est vraiment joueuse, on retrouvera sans doute que pour n’avoir jamais tout à fait renoncé à l’avoir du pénis, la question de l’être du phallus puisse pour elle en ces termes se poser »).

Avant d’entrer dans de telles considérations, ou de les critiquer, il nous apparaît nécessaire de tenir compte du fait que la culture, l’histoire, les modes sociétaux de régulation du jeu, sont encore ici au premier plan, et vont influencer à la fois le contexte des études, et les conceptions des chercheurs.

Les femmes ne jouent pas dans des cercles interdits aux femmes, comme elles ne buvaient pas dans des tavernes réservées aux hommes.

Même si les ségrégations tendent, dans les cultures actuellement dominantes, à devenir obsolètes, un surcroît de stigmatisation peut continuer à s’attacher au jeu, lorsqu’il s’agit de jeu au féminin.

L’imagerie traditionnelle, depuis le Moyen-Age et l’âge classique, traite des femmes et du jeu de façon en quelque sorte latérale :

 D’une part, comme objet de consommation, la prostituée ou la courtisane participe de l’imagerie des cercles et maisons de jeu comme lieux de débauche et de perdition, zone de plaisirs troubles, autres, interdits, le sexe, l’alcool, les drogues…

 D’autre part, comme victime, c’est l’image (et souvent encore la réalité), de l’épouse et de la mère, mise à mal, menacée de destruction, par la passion pour le jeu du mari et du père. Les premières répercussions qui viennent attester le caractère démesuré, anormal, « pathologique », du jeu, sont d’ordre domestique.

C’est encore la femme du joueur, plus que la joueuse, qui est souvent étudiée, et le parallèle avec l’alcoolisme s’impose ici encore.

Les descriptions montrent alors que longtemps il existe une « cécité », une absence de prise de conscience des difficultés du conjoint, d’autant que celui-ci les masque. Puis de longues tentatives de soutien, de remise en question, mais dans un contexte de tolérance, voire l’acceptation d’un rôle de victime rédemptrice qui est souvent l’objet des réflexions des observateurs.

Le jeu pathologique en France

Une étude menée en France auprès des personnes consultant le service téléphonique S.O.S. Joueurs (A. Achour-Gaillard, 1993) donne un aperçu de la population française des joueurs dépendants.

Ce travail met en évidence une très forte surreprésentation des hommes (plus de 90% des sujets), un âge de 25 à 44 ans, la tranche la plus représentée étant les 40 – 44 ans.

Une majorité de ces joueurs sont mariés, et ont des enfants.

La plupart ne jouent qu’à un seul jeu, les femmes surtout aux machines à sous.

Une majorité de ces joueurs sont surendettés, et l’altération des relations conjugales est une conséquence fréquente.

Près de 20% des joueurs ont commis des délits.

L’auteur remarque à la fois que cette étude n’est qu’exploratoire, mais qu’elle semble en accord avec les résultats des recherches nord-américaines : les différences de culture, quant au jeu, comme les différences de conception, quant à l’abord de ce problème, n’empêchent donc pas une convergence, dans l’appréciation globale du phénomène ou le profil des joueurs pathologiques.

Comorbidité psychiatrique

Dépression et états maniaques ou hypomaniaques

Les dépenses inconsidérées, parmi lesquelles pourrait se trouver une frénésie de jeu, sont l’un des premiers symptômes classiquement décrits en psychiatrie dans les débuts d’un épisode maniaque ou hypomaniaque, qu’il entre ou non dans le cadre d’un trouble bipolaire (psychose maniaco-dépressive).

Les études épidémiologiques ou cliniques tendent à montrer une importante relation, entre la dépression et le jeu pathologique

Personnalités antisociales

La délinquance est un élément fréquemment retrouvé dans les cas de jeu pathologique. Le D.S.M. insiste sur cette dimension, après avoir (dans sa troisième version), exclu les « troubles de la personnalité antisociale », du cadre du jeu pathologique. Selon le D.S.M. IIIR, « Les problèmes liés au jeu sont souvent associés à la personnalité antisociale, et, dans le jeu pathologique, le comportement antisocial est fréquent. Lorsque les deux troubles sont présents, les deux diagnostics doivent être faits. »

Usage de drogues et d’alcool

Selon une étude de Lesieur et Blume (1993), qui ont passé en revue l’essentiel de la littérature technique en la matière, les recoupements (« overlaps ») entre jeu pathologique et abus de substances psychoactives sont très larges. Parmi les personnes en traitement pour dépendance à l’alcool ou aux drogues, de 9 à 14% sont aussi des joueurs pathologiques. Ces pourcentages sont à multiplier par deux si l’on inclut la catégorie des « joueurs à problèmes ».

Dans l’autre sens, si l’on étudie des cohortes de joueurs pathologiques en traitement, de 47 à 52% d’entre eux se révèlent aussi présenter une dépendance ou un abus d’usage d’alcool ou de drogues.

Nous verrons qu’il existe des éléments communs entre d’une part l’alcoolisme ou la toxicomanie, d’autre part le jeu pathologique. Aussi que certaines personnes peuvent passer de l’une à l’autre de ces « pathologies ».

Troubles des conduites alimentaires

Des parallèles théoriques peuvent aussi exister entre jeu pathologique et troubles des conduites alimentaires, anorexie, boulimie, dans la mesure où ces troubles sont avant tout décrits en termes de comportements auto-infligés, et comportent les caractéristiques d’impulsivité, ou de compulsivité, qui sont évoqués dans le cas du jeu pathologique.

Les études sur le sujet sont rares, mais il semble (Lesieur et coll.) que chez les femmes qui s’adonnent au jeu de façon excessive, les boulimiques soient nettement sur représentées.

Modèles explicatifs

Théories psychanalytiques

Freud et Dostoïevski

Le texte psychanalytique le plus célèbre sur le jeu n’est pas le premier en date : il date de 1928, alors que par exemple Von Hattinberg avait traité du jeu dès 1914. Il présente un paradoxe de plus : ce n’est pas un texte sur le jeu, ni une monographie sur un patient joueur, mais sur une personnalité célèbre, que Freud connaissait par ses oeuvres, et par des études biographiques.

C’est la personne de Dostoïevski, non seulement sa passion du jeu, que Freud tente de cerner.

Ce bref essai a été depuis sa parution abondamment commenté et critiqué, sous des angles divers.

Ce petit texte – et le fait qu’il continue à être abondamment cité le prouve – contient sans doute, et jusque dans ses réticences, une part essentielle des réflexions psychanalytiques sur le jeu, dans lequel « on ne peut voir (…) autre chose qu’un accès indiscutable de passion pathologique »

Freud élimine d’entrée l’idée que l’appât du gain soit la cause du jeu. Dostoïevski est d’ailleurs très explicite sur ce point : il n’y a d’autre but que « le jeu pour le jeu ».

Et cette passion, selon Freud, a la fonction psychique d’une conduite d’autopunition. Ainsi s’éclaire la séquence cyclique et répétitive, chez Dostoïevski, d’accès frénétique et ruineux de jeu, puis de phase de remords et auto flagellation, enfin de renouveau de la créativité littéraire : « Quand le sentiment de culpabilité de Dostoïevski était satisfait par les punitions qu’il s’était infligées à lui-même, alors son inhibition au travail était levée et il s’autorisait à faire quelques pas sur la voie du succès ».

Le but de l’analyse est donc de chercher en quoi ce besoin inconscient de se punir est fondé, quelles sont les sources profondes du sentiment de culpabilité. La « digression » freudienne sur la nouvelle de S. Zweig vise à établir le lien entre ce sentiment de culpabilité, ou plutôt le besoin de punition, et une origine pubertaire, dans le rapprochement des fantasmes oedipiens et la masturbation : « Le fantasme tient en ceci : la mère pourrait elle même initier le jeune homme à la vie sexuelle pour le préserver des dangers redoutés de l’onanisme. Notons que le parallèle soulevé par Freud entre le jeu et la masturbation peut s’appliquer à tout l’ensemble des »pathologies des conduites« , regroupées dans le cadre des »troubles des impulsions«  : trichotillomanie, pyromanie, kleptomanie… Comme le jeu, ces accès passionnels, à la fois irrésistibles et »égosyntones« peuvent être vus comme une dérivation, une substitution, de la première »grande habitude » problématique (du moins en 1928…), la masturbation.

Mais la conduite d’autopunition et le sentiment conscient ou inconscient de culpabilité de Dostoïevski proviennent aussi de l’autre versant de la structure oedipienne : l’ambivalence envers le père, qui inclut l’agressivité meurtrière.

Le parricide, qui hante l’oeuvre de l’écrivain, serait la clé de voûte de sa conduite masochiste.

Schématiquement, la menace de castration s’articule autour de deux positions différentes du moi : d’une part, la menace directe de punition liée à la haine envers le père, le désir de le supprimer, de le remplacer. D’autre part, effet de la bisexualité universelle, une position passive de soumission, fantasme de tenir le rôle d’objet sexuel du père, qui raviverait l’angoisse de castration.

La perte au jeu devient cette punition par l’entité paternelle : « Toute punition est bien dans son fond la castration et, comme telle, satisfaction de la vieille attitude passive envers le père. Le destin lui-même n’est en définitive qu’une projection ultérieure du père. »

J.B. Pontalis remarque que si Freud, d’une certaine manière, résiste à la « pathologie » de Dostoïevski, c’est que chez ce dernier elle met en acte ce meurtre du père qui, fantasmé, symbolisé, est l’un des pivots de la pensée freudienne. La biographie d’Henri Troyat montre en effet que le voeu de mort du père était chez Dostoïevski tout à fait conscient, et non refoulé, et que la mort violente de ce père fut saluée par le fils comme une libération…

Reste que ce texte propose, comme mécanisme profond de la conduite du joueur pathologique, une problématique qui est celle de l’intégration de la Loi, dans la mesure où le meurtre du père, et les mécanismes de son refoulement ou de son dépassement, sont à la fois à la base, pour l’individu, de la constitution des instances morales, et pour l’humanité (selon la vision du père originel de la horde primitive de « Totem et Tabou ), une condition de l’intégration de l’individu comme membre de la communauté humaine, de la civilisation.

Le joueur selon E. Bergler

« The psychology of gambling », ouvrage du médecin psychanalyste américain Edmund Bergler fit longtemps autorité en matière de ce qui aujourd’hui est jeu compulsif, pathologique, ou addictif.

Expression d’une « névrose de base » correspondant, comme l’alcoolisme, à une régression orale, le jeu serait la mise en acte d’une séquence toujours identique, représentant une tentative illusoire d’éliminer purement et simplement les désagréments liés au principe de réalité, au profit du seul principe de plaisir.

Cette opération nécessite un retour à la fiction de la toute-puissance infantile, et la rébellion contre la loi parentale se traduit directement, chez le joueur, par une rébellion latente contre la logique.

L’agression inconsciente (contre les parents, représentant la loi, et la réalité), est suivie d’un besoin d’autopunition, impliquant chez le joueur la nécessité psychique de la perte.

Une séquence de jeu correspondrait donc au scénario fantasmatique suivant :

  •  Premièrement, je suis tout-puissant, je commande le destin, et je me moque des règles, qui ne sont qu’hypocrisie.
  •  Deuxièmement, je suis puni, mais je ne m’en soucie pas intérieurement, bien que consciemment je sois une victime innocente.
  •  Enfin, je suis supérieur aux géants qui me punissent : c’est en effet moi qui les fait me punir…

Ce schéma permettrait d’éclaircir à la fois les conduites du joueur type, le « joueur classique » de Bergler, et certains traits particuliers de certains joueurs :

Le « mystérieux frisson », excitation et tension à la fois agréable et désagréable, l’ineffable du jeu, serait simplement lié au plaisir de la reviviscence de la toute-puissance infantile, mêlé à l’angoisse de l’attente de la punition.

Autres travaux

 Il convient de signaler l’importance d’un auteur, longtemps considéré comme majeur, qui s’inscrit dans une optique d’utilisation clinique, thérapeutique, de la psychanalyse, et dont la proximité de démarche avec Bergler tient sans doute à une trajectoire relativement comparable.

Otto Fenichel est aussi un psychanalyste européen, qui contribua au développement de cette discipline aux États-Unis.

Dans son travail impressionnant, « la psychanalyse des névroses », publié en 1945, il tente de faire le tour de l’ensemble des formes de pathologie mentale, et de montrer en quoi la psychanalyse peut en éclairer la compréhension. Il fait une place au jeu, et cite Bergler à ce propos (parmi les 1646 références bibliographiques de l’ouvrage…).

Du jeu, « combat contre le destin », il conclut que « Sous la pression des tensions internes, le caractère badin peut se perdre ; le Moi ne peut plus contrôler ce qu’il a mis en train, et est submergé par un cercle vicieux d’anxiété et de besoin violent de réassurance, angoissant par son intensité. Le passe-temps primitif est maintenant une question de vie ou de mort. »

Fenichel fait par ailleurs la distinction entre des névroses « compulsives », où le sujet est obsédé par l’idée, comme imposée de l’extérieur, de commettre un acte, et contre laquelle il lutte, et des « névroses impulsives », où l’acte est commis de façon syntone au moi : la base de la classification des « troubles des impulsions » du D.S.M. trouve ici son origine, et Fenichel classe d’ailleurs dans les névroses impulsives, outre le jeu, la pyromanie et les fugues impulsives. Proche des impulsions, se trouve pour lui la catégorie des « caractères dominés par leurs instincts », au premier rang desquels, les toxicomanes (et alcooliques). Il décrit aussi dans la même catégorie des « addictions sans toxique », toxicomanes sans drogue, boulimie et autres troubles des conduites alimentaires.

La psychanalyse, particulièrement nord-américaine, est donc pour beaucoup dans une perception du jeu comme pathologie, et bien des descriptions actuelles sont influencées par ces conceptions.

Bergler, comme Fenichel, se situent dans le cadre d’approches cliniques à visée pragmatique, non éloignées d’une vision médicale.

Jacques Lacan, dans son séminaire sur la lettre volée, pose de façon plus « philosophique » et lapidaire la question du joueur :

« Qu’es-tu, figure du dé que je retourne dans ta rencontre (tuch) avec ma fortune ? Rien, sinon cette présence de la mort qui fait de la vie humaine ce sursis obtenu de matin en matin … »

Les signifiants, la réponse du dé, est bien de l’ordre de l’ultime, de ce qui dépasse le simple désir humain : « Marquer les six côtés d’un dé, faire rouler le dé ; de ce dé qui roule surgit le désir. Je ne dis pas désir humain, car, en fin de compte, l’homme qui joue avec le dé est captif du désir ainsi mis en jeu. Il ne sait pas l’origine de son désir, roulant avec le symbole écrit sur les six faces. » (Séminaire, livre 2).

Dans un article de 1967, (revue L’Inconscient), « Le joueur, essai psychanalytique », R. Tostain reprend la question du sens de la conduite du joueur.

Le hasard, pour le joueur, serait « cet Autre supposé savoir auquel il peut se fier, se confier, tout comme le faisaient les Anciens quand ils lisaient dans le ciel l’heure de la bataille à livrer. »

Reformulant les analyses freudiennes, la problématique de la castration devient clairement, dans son exposé, celle du rapport du sujet à la Loi, qui n’est pas simplement écrasement par la culpabilité, et simple besoin de punition :

« En ce sens, il ne me paraît pas que le joueur désire inconsciemment perdre pour satisfaire à un bien hypothétique sentiment de culpabilité qui n’a nulle place dans la dynamique du désir.

Ce qu’il veut, c’est se soumettre à la Loi. Cette Loi qui exige qu’il renonce à son avoir pour pouvoir donner. Il agit comme s’il savait qu’il n’y a de don que de ce qu’on a pas parce qu’on a renoncé à l’avoir. »

Il y a donc dans le cas du joueur une problématique très particulière, qui serait à situer dans une forme de négation et de reconnaissance de la nécessité de la castration, de l’accès la Loi.

L’origine de cette singulière attitude envers la Loi symbolique, « l’ordre symbolique, légal, celui du signifiant phallique » ( vouloir, comme si l’on savait, y accéder…), est à chercher dans quelque dysfonctionnement de la fonction paternelle, et Tostain revient à Dostoïevski, pour tenter d’éclairer « ce qui, au niveau du nom du père, manque que son fils tente de combler en jouant. ». Et la clé en serait non, comme pour Freud, dans le caractère inconscient du voeu de parricide, mais au contraire dans le fait qu’il n’ait pas pu le refouler…

Modèles comportementalistes et cognitifs

Le comportementalisme opérant ou skinnérien

Le conditionnement opérant est sans doute le mode d’explication le plus simple et le plus évident d’une dépendance au jeu, si celle-ci est conçue comme un comportement, ou un ensemble de comportements.

Rappelons que les travaux de Skinner sont dérivés des études sur l’apprentissage animal, initialement dans la suite de la « loi de l’effet » de Thorndike.

Il s’agit donc surtout au départ de l’étude de comportements simples et individuels.

Le schéma de base en est très simple, en « feed back » : un comportement produit une conséquence, et cette conséquence pourra renforcer ou non ce comportement.

Le renforcement se traduit par une augmentation de l’émission du même comportement, en fréquence ou en intensité.

L’opérant, le comportement étudié, peut donc être l’objet d’un renforcement positif, ou d’un renforcement négatif, si la conséquence entraîne une diminution de la fréquence du comportement. Il peut aussi « s’éteindre », en l’absence de renforçateur positif.

Les contingences de renforcement représentent le lien entre le comportement et sa conséquence.

La contiguïté est le rapprochement temporel de ces deux données, condition nécessaire aux renforcements tant positif que négatif. (Chez le pigeon, le renforçateur doit suivre de six secondes l’émission du comportement pour être efficace…).

A priori, de façon générale, un renforçateur immédiat a plus de chances d’être efficace qu’un renforçateur différé.

Les renforçateurs primaires sont ceux qui sont liés aux fonctions vitales, physiologiques, comme la nourriture.

L’expérimentation animale montre qu’il existe aussi des renforçateurs secondaires, acquis : si par exemple un singe apprend à obtenir en poussant un levier, un jeton qui lui-même permet d’obtenir de la nourriture, le jeton est un renforçateur secondaire.

Un renforçateur secondaire, s’il permet l’accès à divers renforçateurs primaires, présente l’avantage d’éviter la saturation, l’inefficacité qui résulte de l’emploi du même renforçateur primaire. (Le pigeon peut cesser d’avoir faim…).

La généralisation du comportement est le fait qu’il continue à être émis, en l’absence du renforçateur initial.

Le « principe de Premack » énonce que tout comportement émis régulièrement à une fréquence élevée peut être lui-même utilisé comme renforçateur.

Les programmes de renforcement définissent le mode de distribution des renforçateurs par rapport à l’émission d’un comportement. Sont distingués des programmes à proportion, où le renforçateur suit un certain nombre d’émissions du comportement (si ce nombre est fixe, il s’agit d’un programme à proportion fixe), et des programmes à intervalle, où le renforçateur est donné à certains intervalles prédéterminés, fixes ou variables.

De façon générale, la rapidité du renforcement d’un comportement sera grande dans des programmes à renforcement quasi-systématiques. Mais des programmes à proportion et intervalles aléatoires engendreront une constance, une généralisation du comportement…

Ce rappel succinct permet de voir comment, si le jeu est assimilé à un comportement, il est tentant de voir dans l’argent du gain un renforçateur secondaire.

Les « machines à produire du hasard », machines à sous, cartes à gratter, etc., auront alors valeur de programmes de renforcement aléatoires.

C’est ainsi qu’elles sont traitées par les concepteurs, qui visent par définition à renforcer le comportement-cible « mettre de l’argent dans la machine »…

B.F. Skinner, pape du béhaviorisme, ne pouvait manquer d’insister sur ce rapprochement d’une conduite humaine avec les mécanismes du dressage animal.

En 1953, dans « science and human behavior » (Appleton Century Crofts, N.Y), il affirme :

« L’efficacité de tels programmes à produire des taux de réponses élevés est connue depuis longtemps des propriétaires des établissements de jeu. Machines à sous, roulette, dés, courses de chevaux, etc. rapportent selon un programme de renforcement à rapport variable (variable ratio-reinforcement).(…) Le joueur pathologique est l’exemple même du résultat. Comme le pigeon avec ses cinq réponses par seconde pendant plusieurs heures, il est la victime d’une contingence de renforcement imprévisible. Le gain ou la perte au long terme est presque sans importance (irrelevant) au regard de l’efficacité de ce programme. »

Le comportementalisme répondant ou pavlovien

Le conditionnement répondant constitue le champ des classiques « réflexes conditionnés ». Le principe en est bien connu, et se déroule en trois phases :

  •  d’abord, un stimulus inconditionnel entraîne une réponse inconditionnelle. (La présentation de nourriture fait saliver le chien).
  •  Ensuite, un stimulus conditionnel s’ajoute au stimulus inconditionnel, et la même réponse inconditionnelle se produit (le son de la clochette s’ajoute à la présentation de nourriture)
  •  Enfin, le stimulus conditionnel produit la réponse, conditionnelle.

Des mécanismes de ce type sont évoqués en matière de toxicomanies pour expliquer certains aspects de la dépendance, et notamment l’importance du contexte, du cadre, des « rituels » associés à la prise de drogue ou à la conduite addictive. Des « retours de manque », ou des impulsions à reprendre de la drogue sont ainsi souvent notés chez des héroïnomanes sevrés, lorsqu’ils se retrouvent dans leurs anciens lieux de « défonce », ou simplement qu’ils entendent une musique, qui est associée au souvenir de la drogue.

Souvent de façon implicite, les programmes de traitement d’inspiration comportementaliste font une grande part à ce versant de conditionnement répondant : notamment lorsqu’ils insistent sur la nécessité, pour un sujet, d’éviter les lieux, les ambiances, les rituels, qui sont rattachés au jeu lui-même.

Ces deux aspects du comportementalisme peuvent-ils expliquer la conduite d’un joueur excessif ? Il convient de distinguer en effet le mécanisme d’apprentissage ou d’acquisition d’un comportement, de la complexité de l’engagement d’un être humain dans une conduite.

La question pourrait être reformulée : même si l’on admet que les mécanismes de conditionnement sont à la base des comportements, faut-il en déduire que le seul hasard des contingences de renforcement va transformer un individu en toxicomane ou joueur pathologique ?

Selon par exemple G. Bateson, qui parle en termes de niveaux d’apprentissage, il y aurait là une erreur manifeste : l’apprentissage par conditionnement, celui des comportements, est d’un autre niveau logique que l’apprentissage de conduites complexes, qui impliquent un « apprentissage des apprentissages » du niveau précédent…

Au service des recherches biologiques, neurophysiologiques ou pharmacologiques, le comportementalisme et le dressage animal permettent d’explorer les deux axes principaux des mécanismes de la dépendance :

 D’une part, la tolérance, le fait que la prise répétée d’une substance entraîne au bout d’un certain temps la nécessité d’augmenter les doses pour obtenir un effet similaire.

La notion de processus opposants (« opponent process » de Solomon) met en valeur l’importance potentielle de ce mécanisme, même en ce qui concerne des addictions sans drogues : schématiquement, tout se passe comme si l’organisme sécrétait peu à peu un processus inverse à celui qu’induit la substance, ou la conduite addictive. La diminution des effets, la nécessité d’augmenter les doses de substance, ou la fréquence de la conduite, serait la résultante de ces processus contradictoires (un effet agréable, après un certain temps, entraîne la production par l’organisme d’un processus désagréable. La somme des deux est perçue par l’individu comme la simple diminution de l’effet agréable…).

Les syndromes de sevrage peuvent alors être expliqués par la persistance pendant un certain temps, du processus opposant (généralement désagréable), après l’arrêt du processus initial (généralement agréable).

 D’autre part, la sensibilisation : c’est le fait qu’un individu, qui a été « accroché », dépendant à une substance, va garder dans son organisme une trace de cette dépendance. Même après un long temps de sevrage et d’abstinence, il sera plus sensible qu’un autre aux effets du « produit ». Il en redeviendra aussi plus vite à nouveau dépendant.

Le rapprochement entre ces considérations et le vécu addictif apparaît très éclairant. On peut mieux entrevoir comment ces mécanismes peuvent être en cause dans des processus d’escalade, comme celui décrit dans les « phases » du jeu pathologique.

Mais il faut se garder des généralisations hâtives, et ne pas oublier que les « modèles animaux » ne sont transposables à l’homme que de façon très métaphorique, et tendent à se complexifier.

Ceci notamment par la place de plus en plus grande qu’accordent les chercheurs au contexte, à l’environnement, à l’éthologie…

Des approches cognitives

Tendent de prendre acte de cette différence des niveaux d’apprentissage, et de la complexité des conduites humaines, en s’intéressant aux croyances, aux attentes, et aux représentations des sujets concernés.

Cet angle de regard, en matière de toxicomanies ou d’addictions au sens large a été particulièrement développé aux États-Unis par G. A. Marlatt, et en matière de jeu pathologique, au Québec par R. Ladouceur.

La première motivation des joueurs, dont l’activité remonte généralement à l’adolescence, est de gagner de l’argent. Cet aspect de la conduite est renforcé dans les cas de gains initiaux, phase de gain ou « big win ».

Mais surtout, Ladouceur insiste sur le rapport particulier que le joueur entretient avec le hasard, et spécialement sur la conviction ou la croyance en sa propre capacité à influencer le cours du jeu.

Plusieurs analyses de situations réelles, ou des protocoles expérimentaux, permettent de vérifier cette hypothèse :

 Entre des jeux où les possibilités, les probabilités objectives de gain sont les mêmes, et totalement indépendantes de l’activité du joueur, celui-ci aura d’autant plus tendance à s’attribuer le résultat, qu’il aura exercé une part active dans le déroulement de la séquence de jeu. Autrement dit, au niveau d’une conviction intérieure, ce n’est jamais la même chose de regarder quelqu’un d’autre lancer le dé, ou de le lancer soi-même.

« …plus le joueur participait au jeu, plus il misait d’argent et plus il effectuait des paris risqués (…) Ce résultat se confirma autant chez les joueurs réguliers que chez les joueurs occasionnels ».

 Les joueurs pathologiques entretiennent plus que d’autres une conception « inadéquate », non conforme aux logiques mathématiques, qui leur fait nier ou sous-estimer la part du hasard dans le déroulement du jeu.

Mais même chez ceux qui acceptent le fait que le jeu auquel ils s’adonnent est de pur hasard, les conceptions s’avèrent erronées en terme de calcul des probabilités. Avec G.A. Marlatt, il est possible de dire que ces personnes attendent du jeu plus que ce qui serait raisonnable, comme les « addicts » de leur drogue.

Nous retrouvons donc ici, au niveau des représentations et des attentes des individus, les différents aspects évoqués dans la pratique du jeu en général, quant à la reconnaissance/négation du hasard. Le recours aux systèmes et martingales est parfois aussi peu rationnel que le recours aux fétiches, pattes de lapins ou trèfles à quatre feuilles…

 La facilité avec laquelle un sujet va tendre à s’attribuer faussement un pouvoir sur des événements aléatoires pourrait être liée à un profil psychologique souvent relevé chez les joueurs pathologiques :

Ce joueur est le plus souvent un homme, qui aime la compagnie, les groupes, qui se conduit en meneur, en décideur, se montre hyperactif et extraverti, d’une intelligence et d’un sens pratique supérieurs à la moyenne. L’expérience lui a donc appris qu’il savait gagner, prendre des risques, et l’important pour lui est de gagner. Son milieu d’origine aurait particulièrement valorisé l’argent et le pouvoir…

 Les étapes d’une « carrière » de joueur ne font souvent, par l’analyse que tente d’en faire lui-même le sujet, que renforcer les croyances erronées initiales. (Les raisons d’un échec ne seront que rationalisations, puis motifs d’essayer de gagner à nouveau).

Marlatt montre que nombre de « rechutes » sont souvent préparées par les sujets, à leur propre insu. Des décisions apparemment sans aucun rapport, mais en fait des prétextes, vont les conduire à s’exposer à nouveau au jeu. Par exemple (de ces « apparently irrelevant decisions »), pour un Américain joueur, le fait de retourner à Las Vegas, juste pour voir le paysage…

La question de la recherche de sensations

La recherche active de sensations fortes est à l’évidence l’une des motivations, le plus souvent tout à fait consciente, des joueurs.

Avec le Pr. J. Ades, il est permis de considérer que « La recherche de sensations peut ainsi occuper une place centrale dans un modèle bio-psycho-comportemental de l’addiction. Elle permet, notamment, d’expliciter les relations entre dépendances aux substances psycho-actives (alcool, drogues, tabac…) et dépendance à des comportements sans usage de drogue, dont la parenté peut reposer sur la présence d’un tel facteur psycho-biologique favorisant. »

La notion de recherche de sensation a été développée aux États-Unis par Marvin Zuckerman, qui a développé sous forme de questionnaire une échelle de recherche de sensations (Sensation Seeking Scale).

Progressivement, cet auteur en est venu à considérer la recherche de sensations comme un trait de personnalité, qui pourrait avoir des bases physiologiques, voire génétiques.

Certains sujets, plus que d’autres, auraient besoin d’éprouver des sensations fortes, ou plutôt présenteraient une recherche de stimulations élevées, ces sujets étant moins sensibles que d’autres, moins aptes à ressentir des éprouvés liés à des stimulations banales…

Cette vision presque « physiologique », permet le rapprochement de la recherche de sensation humaine avec les conduites d’exploration et de nouveauté chez les animaux, qui font l’objet d’études neurophysiologiques.

Parmi les éléments explorés par l’échelle de recherche de sensations, on retrouve :

  •  Un facteur de recherche de danger et d’aventure
  •  Un facteur de recherche d’expériences.
  •  Un facteur de désinhibition.
  •  Un facteur de susceptibilité à l’ennui.

globalement, cette échelle permet de distinguer des forts chercheurs de sensations (H.S : High sensation seekers) de faibles chercheurs de sensations (L.S : Low sensation seekers).

Si les toxicomanes ou alcooliques sont très régulièrement cotés comme « H.S », il devrait en être de même des joueurs pathologiques.

Or, la littérature en la matière est quelque peu contradictoire, et il serait prématuré de la considérer comme suffisante. Selon les études la corrélation entre jeu pathologique et recherche de sensations, explorée par l’échelle de Zuckerman, se révèle soit positive, soit négative…

Si une différence se confirmait quant aux résultats au S.S.S entre le jeu pathologique et d’autres formes d’addictions, l’instrument lui-même devrait être interrogé : faudrait-il par exemple imaginer une différence importante de problématique entre prise de risque, et recherche de sensations ?

Études psychobiologiques

Les recherches actuelles se font dans le domaine où les scientifiques ont fait le plus de progrès, le champ de la neuropharmacologie, des neurotransmetteurs.

Mais l’exemple de la dépression, comme celui de la psychopathie (ou du caractère antisocial), montrent la difficulté à isoler des facteurs spécifiques du jeu pathologique : cliniquement, nous avons vu qu’il est souvent difficile de savoir si la dépression a précédé le jeu, qui a alors valeur de tentative d’automédication, ou si elle en est une simple conséquence. Et les mêmes questions vont se poser en ce qui concerne les conduites de délinquance, l’usage associé de drogues, de tabac, d’alcool, etc…

Les résultats de recherches biologiques visant à isoler des « causes » physiologiques du jeu pathologique sont donc à aborder avec beaucoup de prudence.

Hickey, Haertzen et Henningfield ont étudié en 1986 chez 19 volontaires ayant des antécédents de jeu compulsif les sensations procurées par la simulation du gain au jeu, et ont montré qu’elle générait une euphorie comparable à celle de drogues fortement toxicomanogènes ; effets euphorisants tout particulièrement comparables à ceux des drogues psychostimulantes. Ce qui, soulignent les auteurs, est en accord avec les observations se rapportant au jeu en tant qu’équivalent comportemental de l’usage de psychoanaleptiques.

Selon certains auteurs, un dysfonctionnement du système nor-adénergique central serait à envisager comme préexistant.

Les chercheurs aimeraient, en effet, pour l’ensemble des addictions, trouver des perturbations communes qui seraient origine, et non conséquence, de ces conduites.

Les perturbations des mécanismes des endorphines sont aussi évoqués, mais, là aussi, les résultats ne sont guère concordants. Il semble de plus que l’hétérogénéité du groupe « joueurs pathologiques », soit une cause de discordance des résultats (Blasczynski)…

Addictions et hypothèse ordalique

La notion de conduites ordaliques ( M. Valleur, A.J. Charles-Nicolas), pourrait être un élément central d’éclairage des aspects actifs, paradoxaux, des addictions.

Notre interrogation sur le versant ordalique des toxicomanies s’inscrit dans la suite de la démarche de C. Olievenstein, qui, depuis le début des années 70, tente d’élaborer une clinique des toxicomanies, en s’interrogeant, de façon plus descriptive et phénoménologique, que psychanalytique, sur la relation du toxicomane au plaisir, au temps, à la mort…

La notion de conduites ordaliques, introduite dès 1981 , s’inscrit dans ce cadre de réflexion, et correspond à une idée simple : la prise de risques peut, à certains moments et chez certains sujets, être activement recherchée, à travers un vécu d’épreuve, voire de mort et de résurrection.

A l’origine, l’introduction de cette notion avait essentiellement pour but de nuancer une vision des toxicomanies comme conduites autodestructrices. Celles-ci sont encore souvent interprétées au plan individuel comme un équivalent suicidaire , et nombre d’auteurs, implicitement, en font un équivalent de suicide mélancolique, recourant à une métaphore maniaco-dépressive de la toxicomanie, sans doute inaugurée par S. Rado, et poursuivie dans une optique kleinienne par H. Rosenfeld.

Dans cette optique, la toxicomanie est donc l’équivalent d’un suicide, et au plan collectif elle peut correspondre à une attitude sacrificielle d’une partie de la jeunesse.

Pour nuancer cette vision suicidaire sacrificielle des toxicomanies, nous avons donc été amenés à mettre en avant la fonction positive de la prise de risque, phénoménologiquement distincte d’un comportement autodestructeur…

Rappelons que l’ordalie est le terme qui désigne le jugement de Dieu, mode de preuve universel dans le droit antique. Dans les formes les plus anciennes et les plus pures d’ordalies, le sujet soupçonné de sorcellerie ou de crime est exposé à une épreuve par éléments naturels (poison, fer rouge, eau, etc.), et la mort est à la fois verdict et application de la peine.

La conduite ordalique désigne le fait pour un sujet, de s’engager de façon plus ou moins répétitive dans des épreuves comportant un risque mortel : épreuve dont l’issue ne doit pas être évidemment prévisible, et qui se distingue tant du suicide pur et simple, que du simulacre.

Le fantasme ordalique, sous-tendant ces conduites, serait le fait de s’en remettre à l’Autre, au hasard, au destin, à la chance, pour le maîtriser ou en être l’élu, et, par sa survie, prouver tout son droit à la vie, sinon son caractère exceptionnel, peut-être son immortalité…

La conduite ordalique est donc en quelque sorte toujours à deux faces : d’un côté, abandon ou soumission au verdict du destin, de l’autre croyance en la chance, et tentative de maîtrise, de reprise du contrôle sur sa vie.

Tentative, pour un sujet dépendant, ayant « perdu le contrôle de sa vie »(selon la formulation A/A-N/A), de reprendre en main son destin, elles constitueraient l’envers de la dépendance. Le jeu avec la mort serait donc bien démarche magique, irrationnelle, de passage et de renaissance, et non autodestruction de sujets désespérés.

La dimension transgressive est ici centrale, si l’on admet que la transgression est aussi recherche de sens, de légitimation de la Loi. Nous nous situons donc bien à l’interface entre l’individuel et le collectif, entre le sujet et le contexte socioculturel.

Nous proposons donc l’hypothèse que les différentes formes de dépendances, les diverses « addictions », se distribueraient suivant un continuum, des dépendances les plus acceptées ou les plus passives, aux plus « ordaliques » : A une extrémité le tabagisme, voire les troubles des conduites alimentaires, à l’autre les formes actuelles de toxicomanies, avec leur versant de marginalité parfois recherchée, de révolte souvent manifeste, de transgression toujours présente.

Dans cette classification des addictions, le jeu « pathologique » devrait occuper un position centrale :

Socialement « légalisé », toléré sous diverses formes, voire encouragé par l’État, le jeu ne devrait pas entraîner la moindre marginalisation, ou stigmatisation de ses adeptes. Or, voie courte, quasi-mystique ou magique vers la fortune, il garde en soi, dans les représentations du public comme des joueurs eux-mêmes, l’aura de réprobation morale qui vise la facilité, le refus de l’effort, de la voie longue…

Subjectivement, comme A. Ivanovitch, le héros de Dostoïevski, c’est bien sa vie que le joueur mise, même s’il le fait par le moyen indirect de l’argent. Et la question de savoir si l’on joue pour gagner, ou pour perdre de façon masochiste, ne peut s’aborder que dans l’optique d’une épreuve ordalique, sans cesse re­commencée. La sensation extrême, le « thrill », tient en fait à cette situation de jugement, où le sujet attend le verdict du destin, du hasard, de la chance…

C’est, comme dans la prise de risque mortelle, la personnification du hasard, l’affrontement direct au Dieu de l’ordalie, qui crée la possibilité de la rencontre, de la fortune (tuch), sinon du traumatisme et de la répétition.

Les jeux vidéo et les jeunes

Elizabeth Rossé. Intervention au forum du Club Européen de la Santé. Mai 2006.

Le plaisir de jouer est l’objet des premières rencontres avec les jeunes venus en consultation au sujet de leur usage des jeux vidéo. La possibilité pour le jeune d’évoquer sa réalité virtuelle auprès d’adultes est souvent limitée : les parents ne veulent en général plus rien entendre de positif concernant l’ordinateur, celui-ci étant devenu l’objet de conflits intarissables.

Dans ces conditions, les joueurs ne peuvent en rien décrire le monde fantastique dans lequel leur avatar évolue, ils ne peuvent pas faire part de leurs prouesses : leur habilité, leur adresse, les réflexes et les réflexions déployées pour mettre au point des stratégies ne trouvent pas écho chez leurs parents. Pourtant, lors de ces premiers entretiens, ils sont fiers de rendre compte du type de personnage qu’ils ont choisi, du niveau qu’ils ont atteint et des responsabilités qu’ils assument au sein du jeu. Et pour qu’ils s’emparent de cet espace d’écoute, parler du jeu est une entrée en matière rassurante pour des jeunes qui disqualifient l’acte de parole.

De plus nombre de joueurs ne se sentent pas ou peu concernés par cette problématique. Ce constat se reflète dans les prises en charge actuelles. En effet, ces consultants, pour l’essentiel des jeunes garçons âgés entre 18 et 20 ans, viennent sur l’insistance de leurs parents. En fonction de cette situation se dégagent différents profils, non réellement de joueurs, mais de suivis :

– Certains ne se sentent pas concernés par cette problématique et au cours du premier entretien, ils restent sur cette position, considérant que leurs parents s’inquiètent de trop. Ils n’ont pas l’impression que leur existence soit mise à mal par leur engouement pour les jeux vidéo. Ainsi, ils ne voient pas l’utilité d’un suivi et ne souhaitent pas revenir. A ces jeunes, nous indiquons notre disponibilité pour une rencontre ultérieure s’ils éprouvent un problème lié à leur usage des jeux vidéo.

– Pour d’autres, ils effectuent cette démarche comme un devoir, presque scolairement. Ils viennent à 2 ou 3 entretiens, qui restent sans suite. Au cours de ces quelques séances, ils évoquent des difficultés liées soit à un contexte familial conflictuel, soit à une scolarité moins investie qu’antérieurement et à des incertitudes concernant leur orientation ; les deux entrant généralement en interaction. Mais ils ne font pas le lien avec leur manière de jouer. Cette non adhésion à la prise en charge peut s’expliquer d’une part, par le fait qu’ils ne se sentent pas complètement responsables de cette démarche et d’autre part, le fait de jouer leur procure du plaisir et un apaisement par rapport à leur situation de vie. Dans ces conditions, ils ne peuvent donner sens au suivi.

– Quelques uns, sans nécessairement être dans un usage pathologique, venus demander de l’aide souvent après la visite des parents (ces derniers ayant facilité l’accès à la consultation) s’appuient sur cet accueil pour poser leurs difficultés. En période de transition, passant d’un environnement plus ou moins structuré, « protecteur », à un temps marqué par l’incertitude, le doute et impliquant des choix, ils ressentent la nécessité d’une écoute spécifique. Dans cette période d’instabilité, l’engloutissement dans le jeu a pu être une réponse transitoire aux angoisses suscitées par les changements de l’adolescence. En général, ce sont des prises en charge de courte durée ( 6 mois environ ) où les jeunes sont à la recherche d’un soutien leur permettant une mise à distance.

– Enfin, une minorité de ces jeunes peut être qualifiée de dépendante. Ils sont le plus souvent à l’origine de leur demande d’aide ayant une conscience accrue de leurs difficultés mais n’arrivant plus à arrêter de jouer. La prise en charge est plus longue que pour les autres joueurs : l’addiction est plus installée et répond à un malaise antérieur important. Nombres d’entre eux ont développé une dépendance à un « M.M.O.R.P.G » (Massively Multiplayer Online Role Playing Game », c’est-à-dire à un jeu d’aventures en univers persistant (présentation Power point).

Les premières séances du traitement ont surtout consisté à leur permettre de parler du jeu, des rôles qu’ils peuvent tenir, des attentes comme des plaisirs qu’ils peuvent y prendre. Peu à peu, ils peuvent aborder leurs difficultés scolaires, les tensions intra familiales, qui ont de loin précédé les problèmes d’études et d’engloutissement dans le jeu. Nous avons affaire à des problématiques qui semblent rapidement mobilisables, et après moins de deux mois de suivi, à raison d’une séance par semaine, le cadre psychothérapeutique permet de dépasser les simples conseils d’aide au contrôle ou à l’abstinence du jeu, pour se rapprocher d’un suivi de jeune présentant des troubles phobiques, dans un contexte de difficultés familiales anciennes. Mais si cet abord relativise la place de l’addiction au jeu, qui apparaît plus symptomatique que processuelle, il met aussi en évidence une possibilité (qui est certes loin d’être la règle) de déplacement de symptôme, à travers les débuts d’une alcoolisation avec répétition des ivresses et/ou de dépendance affective. Le jeu a été un refuge, une façon de s’anesthésier, et aussi de transposer dans univers plus neutre ses conflits inconscients.

Réflexions générales :

La problématique adolescente est sous jacente à chacune de ces prises en charge mise à part pour les cas avec antécédents psychiatriques. Les jeux vidéos et les mondes parallèles qu’ils offrent, apparaissent comme de nouveaux médiums à la socialisation de jeunes en mal de reconnaissance et dont la principale difficulté est l’insertion dans le système de la société actuelle ; celle-ci leur apparaît souvent étrange, « flippante », semées d’embûches insurmontables. Chaque nouvelle difficulté rencontrée dans la réalité peut être une nouvelle raison pour préférer le monde virtuel, un arrangement qui réponde à leur désir d’adaptation psychologique dans une mouvance sociale qui les largue. Si la plupart des jeunes joueurs ne sont pas encore dans une démarche de demande d’aide, c’est certainement parce qu’ils ne se sentent pas en difficulté : celle-ci existe dans la réalité et non dans le virtuel.

La difficulté majeure sous jacente : au coeur de leurs préoccupations, établir des relations acceptables avec soi et les autres, construire une intimité… Le sujet des entretiens s’oriente rapidement sur leurs difficultés sur le plan affectif : « comment former un couple » est certainement l’une des questions qui les préoccupe le plus. Face à cette interrogation, ils se sentent démunis ; la plupart adopte des stratégies d’évitement de l’autre sexe, d’autres s’engagent dans des relations dans lesquelles ils établissent des liens fusionnels et destructifs. Souvent, ils ont vécu une forte déception amoureuse quelques années auparavant qui les aura beaucoup marqués. Pour ces jeunes, l’expérience amoureuse est par excellence une situation à « hauts risques », où la rencontre avec l’autre est à la fois source d’angoisses et de déception au vu de leurs attentes et de leurs désirs.

Le jeu : une porte ouverte vers le soin. Sans pour autant dramatiser, « pathologiser » des conduites, qui, au cours de l’adolescence peuvent constituer des « appels » ou des demandes très fortes de reconnaissance, un accompagnement peut former un appui non négligeable, moins dans l’idée de mettre fin à un comportement émergent et susceptible ou non de s’accentuer, que, dans ce temps délicat et difficile de l’adolescence, d’offrir un lieu, un espace et une écoute accessible. Il est notable que parmi les joueurs de jeux vidéos, nombreux sont ceux qui souffrent d’une forme de phobie sociale : avoir un contact et savoir qu’on peut les aider et ce, dans d’autres domaines de dépendance que ce qui les a amenés à consulter, permettra certainement une re-mobilisation ultérieure plus aisée.

Jeu vidéo et Internet : une nouvelle forme d’addiction chez les jeunes

Irène Codina. Intervention au Forum Européen de la Santé. mars 2006.

Les familles et principalement les parents – les conjointes étant peu nombreuses encore à consulter – ont commencé à venir nous exposer des problèmes de jeu vidéo fin d’année 2001 et ces demandes n’ont cessé de croître depuis : 9% de la file active en 2002, 25 % en 2003, 29 % en 2004, 36 % en 2005 (soit environ 60 familles).

En 2001, 2002, c’était très fréquemment après avoir entendu parler de ce sujet dans les médias et pensé que ce qui se passait chez eux ressemblait à ce qu’ils avaient entendu, que les parents venaient nous voir.

Assez souvent, quelques heures par jour passées devant l’écran suffisait à les affoler et pratiquement aucun ne pensait aux aspects positifs que le jeu en réseau pouvait présenter pour leur enfant.

Mais il existait quelques cas où les parents n’avaient pas vu qu’une dépendance s’installait. Leur enfant s’intéressait à l’informatique, ils trouvaient cet intérêt de bonne augure ou bien l’usage n’était pas exclusif donc pas préoccupant à leurs yeux.

C’est au moment où les résultats scolaires chutaient, où l’absentéisme s’accentuait au point de conduire parfois à une rupture de la scolarisation, où le rythme entre le jour et la nuit s’inversait, où l’alimentation et le sommeil se dégradaient, où la participation à la vie familiale et sociale s’étiolait voire disparaissait totalement, qu’ils cherchaient à consulter.

Il pouvait s’écouler plusieurs années avant qu’ils ne consultent spécifiquement pour ce problème, période marquée par des tentatives de négociation qui échouaient et épuisaient tant les parents que les enfants.

Cliniquement, nous observions schématiquement 3 types de situations :

– Un premier type où l’usage abusif ancien ou récent de jeunes ados dans la tranche des 14, 15, 16 ans, s’inscrivait dans un contexte de séparation parentale, avec conflits entre l’enfant et la mère, pouvant prendre un aspect de violence verbale ou physique de la part de l’enfant, le père restant dans la coupure, dans l’absence.

Il n’était pas rare que l’usage s’accompagne de troubles autres, somatiques ou psychosomatiques.

Dans ce cas, nous songions plutôt à une consultation spécialisée pour l’adolescent ou à des entretiens de thérapie familiale.

– Un deuxième type où l’usage abusif sur plusieurs années du jeune, dans la tranche des 18-20 ans, s’inscrivait encore dans un contexte de séparation, de divorce parental, avec interruption de la relation entre le garçon et son père.

Lorsque la prise en charge des parents permettait une réorganisation familiale, plus précisément une reprise des relations entre le père et le jeune, on constatait que la dépendance, s’estompait et qu’il était capable de resonger à des projets, notamment de reprise scolaire. Il s’agissait très souvent pour eux de s’orienter vers des écoles d’arts plastiques, d’infographisme ou d’informatique.

Une variante de ce type était représentée par les familles dans lesquelles les parents vivaient ensemble mais connaissaient des difficultés conjugales ou étaient particulièrement anxieux et avaient des perceptions différentes des difficultés de leur enfant.

Dans ce cas, il s’agissait plutôt d’un travail de réassurance pour les parents, en proposant des rendez-vous de temps en temps pour faire le point et de soutien personnel pour l’enfant.

– Un troisième type où la dépendance s’inscrivait dans un tableau de troubles plus sévères, phobies importantes, troubles psychotiques et là nous pensions plus à une orientation vers des CMP ou des CMPP, en parallèle parfois avec un suivi à Marmottan

Dans tous les cas, un usage abusif ou une dépendance au cannabis associé aux jeux video pouvait rendre une évolution favorable plus difficile à obtenir.

D’autre part, il était assez fréquent que le démarrage du jeu coïncide très exactement avec la survenue d’évènements familiaux douloureux : maladies, accidents, deuils, etc…

Qu’en est-il en 2005/2006 ?

Actuellement une majorité de familles viennent au sujet de garçons qui ne veulent rencontrer personne et dont l’usage ne s’assouplit pas au bout de quelques mois, ce qui arrive heureusement. Mais nous recevons aussi en plus grand nombre des familles dont les enfants sont demandeurs ou acceptent de plus ou moins bon gré une prise en charge à Marmottan.

– Les mères seules sont les plus nombreuses à consulter, suivies des couples parentaux. Il y a un peu plus de parents séparés que vivant ensemble, mais la différence n’est pas significative.

– Ces familles ne présentent pas, dans leur grande majorité, de profils socioéconomiques défavorisés.

– Les enfants joueurs dont ils viennent nous parler sont en gros pour la moitié mineurs/jeunes majeurs (15-21 ans) ; donc 50 % environ de jeunes âgés de plus de 21 ans.

– La majorité des parents consultent 1 à 3 ans après le début de l’usage. De plus en plus nombreux sont ceux qui consultent à titre préventif après seulement quelques mois.

– Quand il y a dépendance, ils ont du mal à estimer le moment où cela a commencé. Ils peuvent le faire quand l’usage dure depuis de nombreuses années, par exemple 9 ans. Là ils peuvent dire que leur enfant est dans une dépendance depuis 8 mois par exemple.

– 50 % des parents peuvent mentionner le nom du jeu ou le type de jeu choisi par leur enfant ; par exemple ils parlent de jeux de tirs ou de jeux de rôles ; donc 50 % disent ne pas avoir cherché à savoir, parce qu’ils n’y connaissent rien ou parce que cela leur insupporte trop. Certains disent également s’être fait rabroués lorsqu’ils ont essayé de savoir.

– En terme de problématique exposée, il faut distinguer ce qui constitue le sujet d’inquiétude voire d’abattement des parents, de leur plainte.

a) En ce qui concerne leur sujet d’inquiétude, il tourne principalement autour de deux points :

– Mauvais résultats scolaires répétitifs, absentéisme pouvant aller jusqu’à l’abandon de la scolarité comme nous l’avons déjà dit et de toute autre activité (loisir, sport), délaissement des relations affectives et sociales habituelles. Pour les plus grands, l’inquiétude concerne l’arrêt du travail.

En cas d’usage intensif, les parents ont le sentiment que leur enfant gâche ou détruit sa vie. L’idée de destruction est omniprésente. Ils relèvent l’absence de projets, une non anticipation du futur.

Certains parents constatent un usage simultané ou alterné de cannabis, s’accompagnant parfois d’amaigrissement ou de boulimie, ce qui noircit encore davantage le tableau à leurs yeux.

L’autre axe de leur inquiétude tourne autour de la mauvaise influence, du mauvais exemple donnés aux frères et sœurs plus jeunes et ils peuvent se sentir tiraillés entre le mal être qu’ils perçoivent chez le joueur et l’attention qu’ils doivent porter à leurs autres enfants.

b) En terme de plainte, lorsqu’ils estiment qu’il y a dépendance, ils sont assez nombreux à ne plus supporter d’avoir leur enfant à la maison, du fait qu’il n’est plus du tout dans les rythmes familiaux, qu’il est devenu impossible de l’extirper des jeux sans rentrer dans des conflits de plus en plus aigus.

Ces conflits sont illustrés, par exemple, par le fait que lorsque les parents optent pour une interruption d’internet ou pour une coupure radicale, les enfants peuvent trouver une compensation en jouant non stop sur des games-boys, en ne quittant pas la télévision ou en allant jouer à l’extérieur, chez des copains ou des salles en réseau ou en s’alcoolisant ou en fumant du cannabis. Lorsqu’il y a poursuite du jeu chez des copains accrochés eux aussi, il leur faut alors trouver une gestion commune avec les parents de ces copains, ce qui n’est pas simple.

Dans certains cas, les parents découvrent que l’enfant leur vole de l’argent pour pouvoir continuer à jouer, qu’il leur a subtilisé leurs cartes de crédit.

D’autres se voient menacés par leurs adolescents d’une disparition définitive de la maison, de tentatives de suicide.

Parfois, ils sont confrontés, quand il s’agit de majeurs, à des épisodes de violence envers les objets ou envers eux-mêmes.

Lorsque les mères séparées du père tentent de refaire leur vie, il est assez fréquent qu’elles se sentent dans la situation impossible de devoir choisir entre une vie avec leur enfant dépendant ou une vie de couple avec leur nouveau partenaire.

Certains parents font alors le choix de placer leur enfant en internat lorsqu’ils sont élèves ou étudiants ou de les loger en dehors de la maison lorsqu’ils sont majeurs en assumant financièrement les charges ; à la fois pour se protéger des conflits et pour les obliger à s’investir autrement, c’est-à-dire à étudier ou à travailler. Mais ils constatent avec amertume que le jeune s’enfonce généralement encore davantage dans le jeu, qu’il ne se nourrit plus, qu’il manque d’hygiène personnelle, que son logement parfois se transforme en taudis.

Les parents cherchent toujours à comprendre ce qui a pu amener leur enfant à la dépendance. C’est dans ce but qu’ils se penchent sur l’histoire de l’enfant et de la famille, sur l’éducation qu’ils ont apportée à propos de laquelle il recherche leurs « erreurs ».

De ces récits il ressort une grande variété dans les difficultés rencontrées. Nous ne décelons aucune situation type.

Certains parents font état de difficultés scolaires de toutes sortes dans le primaire, au collège. D’autres, par contre, se demandent comment leur enfant qui a suivi une scolarité brillante et mené des études supérieures peut tout cesser brutalement un jour à 23, 24, 25 ans, pour jouer non stop pendant des mois et des années.

Certains sont effarés d’entendre le jeune dire qu’il ne veut absolument pas s’insérer dans la société et de constater qu’il ne le fait effectivement pas pendant des années.

Il est assez fréquent qu’ils fassent un lien entre une déception amoureuse chez leur enfant et le début d’un usage qui devient une dépendance.

Les parents perçoivent très souvent leur enfant comme étant introverti, ayant peu confiance en lui. Plus rarement, d’autres les décrivent comme ouverts, exubérants voire nerveux depuis longtemps puis subitement renfermés.

Les mères mettent souvent en avant un manque de relation chaleureuse entre le père et l’enfant due à une absence du père de la vie familiale ou à une non communication ; des difficultés conjugales anciennes ou concomitantes de la période de jeu, des divergences d’appréciation des difficultés de l’enfant aboutissant à des conflits.

Quelquefois, elles reprochent à leurs maris d’avoir beaucoup joué eux-mêmes aux jeux video, d’avoir initié et entretenu leurs fils dans ce type de jeux, créant une complicité entre eux à leur détriment.

Il apparaît quelquefois que l’enfant présente des troubles de la personnalité non pris en compte par la famille pour qui l’idée de troubles psychiques est insupportable ; ou qu’il a interrompu son traitement depuis longtemps, mais la famille souhaite qu’il vienne consulter avant tout pour son usage de jeu video.

En ce qui les concerne, les parents font parfois états d’épisodes dépressifs, d’épisodes d’alcoolisation, de tentatives de suicide, antérieurs à l’usage du jeu ;

Certains disent être suivis depuis longtemps pour des troubles tels que une dépression maniaco-dépressive ou une schizophrénie.

D’autres rapportent des périodes de vie professionnelle particulièrement difficiles.

Dans d’autres cas, ils révèlent que l’atmosphère familiale a été imprégnée en permanence de violence.

Tricoter et détricoter l’histoire familiale, telle que les parents la vive peut faire partie bien entendu de l’objet de nos rencontres mais une grande proportion demande une aide qui tienne compte de leur situation concrète au jour le jour.

Cette aide que nous allons tenter de leur apporter, tant pour leur enfant que pour eux-mêmes, dépend naturellement du niveau de gravité que l’on perçoit dans la problématique de l’enfant et du niveau de détresse que l‘on perçoit chez eux.

Cela peut aller de la simple réassurance, en leur faisant valoir notamment ce que les jeux video peuvent apporter de positif à leur enfant, en passant par des réflexions sur les risques que peut comporter une suppression radicale d’internet chez un enfant lourdement déprimé, jusqu’à des conseils autour de la gestion budgétaire de la vie de l’enfant lorsqu’il utilise manifestement l’aide financière de ses parents pour payer son jeu et le cannabis ou autour de leur cohabitation avec lui, quand la vie familiale trop conflictuelle engendre une souffrance importante chez les uns et les autres.

La drogue et le sens

En 2005, Marmottan a assuré 69 746 consultations, reçu 3 156 personnes, pris en charge 1 544 toxicomanes et a atteint le chiffre de 1 462 publications.
Mais l’année 2005 a surtout été marquée par la fin du financement par la MILDT du pôle documentaire de Marmottan et par tous les efforts nécessaires pour comprendre le sens de cette mesure et trouver une solution à cet état de fait.
La brutale négation de 18 ans d’un travail universellement reconnu au sein de l’association Toxibase a évidemment été ressentie comme une blessure par tous les membres de l’équipe et par nos partenaires.
Malgré le caractère très technique et économique (« c’est Bercy ») des raisons mises en avant pour justifier cette décision, elle est apparue d’abord comme un désaveu de Marmottan, renforcé récemment par l’arrêt des subventions à la revue Psychotropes. Pourquoi tant d’acharnement ? C’est ce que nous devons aujourd’hui tenter de comprendre.
Nous avons dû mobiliser une énergie considérable avant de commencer, enfin, à entrevoir une issue qui conserve à Marmottan son pôle formation et documentation, sans lequel l’institution ne serait plus elle-même.

Remercions tous ceux qui oeuvrent à la recherche de cette solution : l’administration du Groupe Public de Santé de Perray-Vaucluse en premier lieu, qui a permis de ne pas brutalement mettre fin au travail de Clotilde Carrandié, la documentaliste dont tous les intervenants connaissent l’engagement et le professionnalisme.

Mais aussi tous les partenaires, cliniciens, chercheurs, universitaires, français et étrangers, dont un certain nombre a eu le courage de s’exprimer sur le site du « blog » Marmottan.

Aussi les politiques – de tendances très diverses – qui se sont émus de cette décision, comme Mme Payet, sénatrice de la Réunion, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, sénatrice de Paris, les élus communistes du Conseil de Paris…

Et Monsieur le ministre de la santé qui, dans sa réponse, reconnaît l’importance du travail effectué et la nécessité de poursuivre cette activité.

La dimension politique – au sens le plus noble du terme – de la question posée par cette menace de fermeture est en effet primordiale.

Marmottan est depuis son origine plus qu’un simple lieu de soins : c’est aussi, et nécessairement, un lieu de réflexion et d’élaboration permanentes, où, après avoir dans les années 70 contribué à construire le « toxicomane » comme entité digne d’intérêt, nous travaillons aujourd’hui à définir le champ des »nouvelles addictions ».

Cette redéfinition incessante à la fois de notre champ d’intervention et des modalités de réponses est le seul moyen de rester en phase avec des problématiques qui sont toujours de vrais problèmes de société, de lutter contre les routines stérilisantes et contre l’usure des soignants, toujours confrontés à l’urgence et au risque de violence.

L’intervention en addictologie, comme en toxicomanie, s’accommoderait d’ailleurs mal de certitudes, tant elle est à l’évidence une réponse actuelle à des problématiques éternelles qui ont, longtemps, relevé de la religion et de la morale : en ce domaine plus encore que dans d’autres, il serait dangereux de croire qu’une approche technique ou scientifique suffise, qui pourrait se passer d’un regard « politique » sur elle-même et sur sa fonction sociétale.

Toxicomanes ou « addicts » ne sont pas simplement des malades relevant de techniques de soin, mais aussi des sujets et des citoyens qui interrogent une société productrice des conditions de leur addiction : cela est d’ailleurs aussi vrai des diverses formes de malaise chez les jeunes, ou des troubles de la conduite chez les enfants…

Le passage de la drogue et de la toxicomanie aux addictions aurait pu passer pour un affadissement des pratiques, une façon de s’adresser à des patients moins marginaux, moins en révolte. Mais il faut rappeler que nous continuons à recevoir, en priorité, des toxicomanes : au niveau des produits, le paysage s’est quelque peu stabilisé cette année, avec toujours beaucoup d’utilisateurs d’opiacés « légaux », de cocaïne et de crack, mais aussi un usage croissant d’alcool… Précarisation croissante et lourdeur de la psychopathologie caractérisent les toxicomanes d’aujourd’hui et l’interface avec le secteur psychiatrique est souvent difficile.

Il faut aussi souligner que nos « nouvelles consultations », où nous recevons entre autres cocaïnomanes mondains ou cadres »dopés », nous permettent de mesurer toute la réalité des drames humains générés par le jeu pathologique, qui concerne de plus en plus des personnes en situation de grande précarité.

Il serait donc absurde d’opposer aux drames des joueurs et des nouveaux « addicts » ceux des toxicomanes ou des alcooliques…

Sauf si l’on voulait entériner une fonction, trop pratique, de bouc émissaire, finalement rassurante, qu’ont toujours eu la « drogue » et les »drogués : « ne mettons pas en question nos habitudes de pensée et de consommation, combattons celles des autres, et tant pis si les consensus se font au prix de la persécution des toxicomanes et des marginaux. »

La mise en avant des dangers du cannabis, depuis le dernier plan de la M.I.L.D.T, relève en partie de cette logique, comme la mise en veilleuse de la lutte contre l’alcoolisme ou le refus de prendre en compte le jeu pathologique.

On peut certes défendre l’utilité des consultations cannabis (celle de Marmottan s’est inscrite naturellement dans notre pratique), mais en soulignant que ces consultations n’ont pas généré un afflux incontrôlable de jeunes adolescents. On peut aussi saluer le fait que son caractère hautement cancérigène ait été exposé de façon crédible par une revue de consommateurs. Mais point n’est besoin pour cela de diaboliser les trop nombreux jeunes qui en font un usage plus ou moins régulier, et majoritairement convivial.

Point besoin surtout de croire qu’il faut mentir pour prévenir : une politique digne de ce nom devrait accepter au moins une certaine indépendance de la clinique et de la recherche, et non tenter de contrôler jusqu’aux résultats des études épidémiologiques (On a fait grand bruit de l’étude de 6O millions de consommateurs, qui « allait dans le bon sens », et tout fait pour passer sous silence la remarquable enquête SAM (Stupéfiants et Accidents Mortels), qui aurait pu permettre de dédramatiser un peu la question : une aussi belle diabolisation que celle de la drogue au volant aurait pu être affadie par quelque chose d’aussi insignifiant que la vérité scientifique…).

On sait combien il est difficile de poser clairement les bonnes questions dans des domaines aussi surchargés de passions et de préjugés, et où les surenchères démagogiques tiennent trop souvent lieu de réflexion.

Le contexte sécuritaire, associé aujourd’hui à un évident manque de compréhension à l’égard des mouvements de la jeunesse conduit à la trop facile stratégie de recherche de boucs-émissaires. Sans papiers, clandestins, inexpulsables, certains de nos patients s’en retrouvent dans des situations proprement kafkaïennes.

Ce contexte explique pourquoi, à la surprise de certains intervenants, Marmottan n’a pas soutenu la demande de classement de la buprénorphine comme stupéfiant, alors que nous avions, dès le début, signalé les dérives et les usages détournés du Subutex®.

Cette demande, faite au moment où des mesures de contrôle par l’assurance maladie commencent à produire leur effet, nous paraît en fait contre productive. Il n’est certes pas facile d’admettre qu’un médicament est aussi utilisé comme modalité sociale de dédramatisation de l’accès à des « drogues », mais c’est malgré tout une fonction que remplit cette molécule, et il y a une certaine hypocrisie à ne pas l’admettre…

Gageons que les préoccupations sécuritaires, qui vont plus que jamais être mises en avant dans l’année à venir ne feront que dramatiser ces questions, et que la drogue bouc émissaire sera convoquée pour ranimer les peurs, au détriment des analyses sérieuses et surtout de la prise en compte des dangers des drogues licites, comme des addictions sans drogues.

Celles-ci, au premier rang desquelles il faut placer le jeu pathologique, sont en effet de véritables problèmes de santé publique non traités, que ce soit au niveau d’études épidémiologiques, d’actions préventives, ou de dispositif thérapeutique…

Mais elles se prêtent beaucoup moins aux récupérations démagogiques et à la diabolisation : parce qu’ici, les « drogués » ressemblent à monsieur tout le monde, mais surtout parce que le principal »dealer » est l’Etat lui-même, qui à la fois interdit, s’accorde les dérogations, et est censé contrôler ce qu’il vend et qui lui profite…

Et force est de constater de façon générale que si les addictions deviennent les maladies du XXIème siècle, c’est parce que la société de surconsommation où nous sommes encourage tous les mécanismes producteurs de ces « pathologies ».

Sans doute faut-il ici chercher ce qui dans Marmottan dérange, en ne permettant pas de considérer la question de la toxicomanie comme purement technique, soluble dans la bonne application de bonnes pratiques médicales.

L’addiction, toxicomanie ou jeu pathologique, comporte toujours à la fois une dimension de dépendance qui tend vers le physiologique, dans lequel se perd le sens initial de la conduite, et qui aboutit à une « mécanisation » de l’existence.

Mais elle comporte aussi une part « ordalique » de révolte contre cette mécanisation, de recherche de sens, de quête de limites et de repères.

A ne voir qu’un seul de ces aspects, on rate soit la « part malade » du toxicomane ou de l’addict, soit, ce qui est au moins aussi grave, la part de sens qu’a eu l’engagement du sujet dans une conduite à risques de dépendance.

Nous sommes effrayés par le caractère technocratique et totalement arbitraire avec lequel a été traité le travail effectué depuis 18 ans par notre pôle documentaire.

Mais ce sentiment d’injustice fait écho à ce que vivent de nombreux citoyens, et particulièrement des jeunes, lorsqu’à leur quête de sens, de repères, de valeurs, on répond par des justifications économiques, comme si les seules lois étaient les « lois du marché ».

Il ne faut pas s’étonner que, comme dans la légende Antigone, ou Tristan et Iseut, ils en viennent à mépriser la loi de la cité, et à rechercher – proies dès lors pour toutes les sectes, et tous les intégrismes – des lois qui leur paraîtraient plus profondes et plus légitimes.

Marc Valleur.