Par Elizabeth Rossé et Irène Codina, psychologues
Depuis quelques années nous recevons à Marmottan des joueurs de jeux vidéo et leurs parents. Ce que met en relief cette expérience c’est une difficulté de communication ; nous pensons que celle-ci est fondée sur une divergence de vision à propos de l’univers même des jeux vidéo. Les parents, les adultes, les non joueurs font reposer leur position sur une distinction apparente entre une réalité mondaine « matérielle » et un virtuel psychique éventuellement « pathologisé ». Sur ce dernier point, le rôle des médias est à prendre en compte ; quant ils évoquent les jeux vidéo c’est très souvent pour parler de violence et d’addiction. Or cette différence entre réalité physique matérielle et réalité virtuelle psychique conduit à « éjecter » le virtuel de toute réalité c’est-à-dire de toute normativité acceptable.
Lorsque des parents viennent nous faire part de difficultés avec un adolescent qui joue trop, qui passe tout son temps derrière l’écran, « qui n’est préoccupé que par ça », ils donnent souvent une image tout à fait négative de ce qui passionne leur enfant. Ils en parlent en terme de « gâchis », de perte de temps. L’ensemble des actes de leur enfant se trouve être interprété au travers du prisme de leur inquiétude. La pratique des jeux vidéo devient l’unique responsable de tout un ensemble de comportements : de l’absentéisme scolaire à la violence verbale voire physique, en passant par une alimentation peu équilibrée et un sommeil déréglé.
Si on peut imputer une part de ces conséquences à un usage passionnel des jeux vidéo, ne pas s’en décentrer conduit chacune des deux parties à maintenir voire à renforcer ses positions dans un face à face peu constructif. Au quotidien, cela se traduit par des conflits récurrents entre adolescents et parents : ces derniers se déclarent usés, épuisés par l’insistance de l’adolescent à obtenir toujours plus de temps de connexion. Souvent ils cèdent devant la répétition des demandes et parce qu’ils ont aussi à faire face à beaucoup d’autres préoccupations : tant concernant le travail ou un autre enfant de la fratrie… Parfois cela peut conduire à une telle crispation que la famille se trouve dans un paradoxe : plus l’adolescent tente d’échapper au regard parental (en se réfugiant devant, derrière ou dans l’ordinateur) plus le contact parental se fait persécutif et anxiogène.
Globalement les parents s’inquiètent pour l’avenir de leurs enfants tandis que ces derniers qui ont bien du mal à s’inscrire dans une temporalité cherchent à vivre un présent intense et riche en sensations et émotions. Non qu’ils ne s’intéressent à rien, mais plutôt ils investissent dans le virtuel pour compenser leur manque d’emprise dans des réalités corporelle, affective et sociale qui leur échappent. Ils s’empressent de rejoindre ces mondes rassurants dans lesquels l’évolution est sûre, l’imprévisibilité réduite et la réversibilité garantie. Et s’ils préfèrent jouer plutôt que de regarder la télé et parfois veiller tard, c’est que la soirée est le moment où il y a le plus de joueurs en ligne et donc le plus d’aventures à partager. Dans le jeu s’est construit un réseau social au sein duquel chacun occupe une place. Appartenir à une Guilde est synonyme d’engagement et implique la responsabilité de tous. Si la pression horizontale des pairs a remplacé l’autorité hiérarchique verticale – qui n’est plus supportée – elle n’en demeure pas moins forte ! Pour les jeunes, les parents ne comprennent rien et jugent trop vite leurs activités ; le jeu exige certaines compétences et en développe d’autres qui sont déjà utiles dans un monde qui s’organise de plus en plus autour de ces nouvelles technologies de l’information et de la communication.