Claude Olievenstein
Le professeur Claude Olievenstein, fondateur du centre Marmottan pour le traitement des toxicomanes à Paris, s’est éteint ce dimanche 14 décembre, dans la capitale, à l’âge de 75 ans.
« Olive », le fondateur de Marmottan, « le Professeur Olievenstein » connu de tous, a été psychiatre, chef de service, professeur associé en anthropologie à l’université de Lyon, et directeur de recherches en ethnopsychiatrie et anthropologie médicale.
Né à Berlin en 1933, l’année même de la prise du pouvoir par Hitler, Claude Olievenstein est très tôt confronté aux problèmes du racisme et de la persécution des minorités. Réfugié avec sa famille en France pour fuir le nazisme, il y connaît les affres de l’Occupation.
Après un passage aux Jeunesses communistes, dont il est finalement exclu, il devient un des dirigeants de l’Union des étudiants juifs de France : à travers le judaïsme, Olievenstein se posera toujours la question du sens ou du non-sens de l’histoire, celle de la définition de la liberté, et du devoir de révolte devant les injustices. Toujours méfiant envers les ordres établis, il s’intéresse, pendant des études de médecine qu’il qualifie lui-même de « médiocres », aux groupuscules et à la marginalité. Ces préoccupations demeurent au premier plan lorsqu’il devient médecin-chef des hôpitaux psychiatriques en 1968.
Il s’inscrit dans une vision critique selon laquelle les psychiatres ne doivent pas être des « chiens de garde de la société », et est influencé par les mouvements de contre-culture, notamment californiens.
C’est une réflexion sur ces mouvements qui l’amène à se pencher sur le problème des toxicomanes en tant que marginaux, à la fois révoltés et en souffrance. Selon l’approche qu’il développe, le toxicomane est « à la fois malade et non malade », dépositaire d’une expérience qui doit être abordée comme éventuellement positive ; une place importante est ménagée, dans cette approche, à l’éprouvé, au plaisir et à la mémoire de ce plaisir.
Fondateur en 1971, du Centre médical Marmottan (Centre expérimental d’accueil, d’orientation et de soins pour toxicomanes non alcooliques), il le définit comme une sorte de sas entre la société « normale » et tous ceux qui ne peuvent ou ne veulent y participer.
Très vite fut créé, en liaison avec Marmottan, tout un appareil institutionnel qui, travaillant selon la même éthique, contribua à constituer l’école « française » des toxicomanies. Cette école pourrait être caractérisée par le refus des réductionnismes et du scientisme. Elle est basée sur la reconnaissance de l’importance de l’intersubjectivité et sur la prise en compte de la nécessité d’un abord complexe, la toxicomanie étant considérée comme résultant d’une rencontre entre une personnalité, un produit, et un moment socio-culturel.
Marmottan est aujourd’hui reconnu au niveau international comme un centre de référence de cette approche française.
Au quotidien, cette approche se traduit par le primat de la relation humaine sur les aspects plus techniques des traitements, qu’il s’agisse de psychothérapies instituées ou de pharmacologie.
Auteur prolifique et médiatique, personnage charismatique et discuté, Claude Olievenstein a irrité autant que fasciné les politiques et les scientifiques : au niveau politique, il a, durant des années, à la fois rendu bien des services en occupant le devant de la scène sur toutes les questions de drogue, mais aussi souvent en dénonçant l’absence de politique de la jeunesse, ou la persécution des « drogués »… Médecins, psychiatres, psychanalystes, ont du mal à la classer dans une école précise, du fait de son absence d’allégeance à une chapelle, et du polymorphisme de son œuvre.
Cette œuvre entremêle en effet les travaux scientifiques (il a publié plus de 125 articles scientifiques dans des revues médicales, psychiatriques, ou de sciences humaines), les ouvrages destinés au grand public (le succès de Il n’y a pas de drogués heureux, 1977, fut considérable) et des ouvrages de réflexion phénoménologique qui débordent le cadre de la toxicomanie pour étendre à la condition humaine les réflexions issues de la clinique.
Dans ces textes, il n’hésite pas à s’exposer en tant que personne, avec ses doutes, ses ambiguïtés, ses certitudes.
Le dernier exemple en fut Naissance de la vieillesse : frappé très tôt par les signes d’une forme grave de maladie de Parkinson, il étendit ses réflexions au vieillissement et au déclin, avec une liberté de pensée et de ton parfois proche de la naïveté, mais surtout une lucidité aussi exemplaire que douloureuse.
Bibliographie (sélective) :
Ecrits sur la toxicomanie. Paris : Ed. Univ., 1973. A été traduit en espagnol
Il n’y a pas de drogués heureux. Paris : Robert Laffont ; Opéra Mundi, 1977. A été traduit en portugais (Portugal et Brésil), en espagnol, en serbo-croate
La drogue (suivi de) écrits sur la toxicomanie. Paris : Ed. Univ., 1978
Mes tables de fête : 91 restaurants parisiens. Paris : Ramsay, 1979
La vie du toxicomane : Séminaire de l’Hopital Marmottan. Paris : PUF, 1982. A été traduit en grec, en portugais, (Brésil), en espagnol, en italien
Destin du toxicomane. Paris : Fayard, 1983. A été traduit en italien, en portugais (Brésil)
La drogue ou la vie. Paris : Robert Laffont, 1983
La clinique du toxicomane. Paris : Ed. Univ., 1987. A été traduit en portugais (Brésil).
Le non-dit des émotions. Paris : Ed. O. Jacob, 1988. A été traduit en portugais (Brésil), en italien
L’homme parano. Paris : Editions Odile Jacob, 1992
De la neige plein les veines. Paris : Editions Saint-Germain-Des-Prés, 1994
Ecrit sur la bouche. Paris : éd. Odile Jacob, 1995
Naissance de la vieillesse. Paris, Odile Jacob, 1999 (A été traduit en italien)
Partager l’essentiel Saint-Jean-de-Braye, Dangles, 1999
La drogue, 30 ans après Paris, Odile Jacob, 2000
Comme un ange cannibale. Drogue, adolescents, société Paris, Odile Jacob, 2002
Toxicomanie et devenir de l’humanité Actes du 30ème anniversaire de Marmottan, Paris, Odile Jacob, 2001